Introduction
Très peu d’ouvrages traitent de l’artillerie de la Légion étrangère avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Le premier, et jusqu’à présent le plus complet, est un article publié en quatre parties dans la revue officielle de la Légion, Képi blanc, en 1978. Cependant, malgré le travail admirable et précis de l’auteur (non crédité), l’article contient plusieurs inexactitudes. Celles-ci ont été reprises par d’autres auteurs, dont l’adjudant Tibor Szecsko, alors historien de la Légion, pour son ouvrage fantastique et exhaustif de 1991 sur les insignes des unités de la Légion étrangère.
Raymond Guyader, créateur du Musée de l’Uniforme Légionnaire situé à Puyloubier, est un autre auteur qui a décidé de traiter, au moins partiellement, le sujet largement négligé de l’artillerie de la Légion. En 1994, il a écrit pour Képi blanc un article traitant de deux batteries de l’entre-deux-guerres servant au Maroc ; onze ans plus tard, il a développé son travail pour une revue commerciale, la Gazette des Uniformes. Mais la liste des sources connues et faisant autorité sur le sujet s’arrête là.
C’est pourquoi, en tant que passionné d’histoire de la Légion, j’ai décidé de résumer tous les faits connus à ce jour. J’espère ainsi corriger des inexactitudes persistantes dans les ouvrages et fournir des informations inconnues jusqu’à présent et que j’ai recueillies sur les batteries d’artillerie de Légion au cours des dernières années.
L’artillerie de la Légion étrangère avant 1914
Commençons par le commencement. La première unité d’artillerie de la Légion étrangère apparaît dans les années 1830, après que le roi de France l’a cédée à l’Espagne pour qu’elle participe à la première guerre carliste (une guerre civile) aux côtés de la régente Marie-Christine. En Espagne, une batterie d’artillerie de la Légion est mise en place en mai 1836, sous les ordres du capitaine Rousset. Elle se compose de six canons de montagne de calibre 4 et participe à de nombreuses batailles. La batterie est dissoute à la fin de l’année 1838, en même temps que l’ensemble de cette « ancienne Légion » (1831-1838).
Deux autres batteries d’artillerie de la Légion étrangère apparaissent à la toute fin de la campagne française au Mexique, où les légionnaires se sont distingués lors de la célèbre bataille de Camerone en 1863. Ces batteries ont été organisées en novembre 1866 dans le cadre des plans français visant à créer et à laisser au Mexique une division de la Légion étrangère comprenant de l’infanterie, de la cavalerie, un corps de génie, un train de ravitaillement et de l’artillerie. Cependant, les deux batteries ont eu une existence éphémère et on ne sait que très peu de choses à leur sujet. En février 1867, elles quittent le Mexique avec les dernières unités françaises et disparaissent, quatre mois plus tard, en Algérie, la terre natale de la Légion.
En 1894, le vicomte Louis de Montfort, membre de l’Assemblée nationale, soumet une proposition qui relance l’idée d’une division de la Légion étrangère. Après des expériences similaires en Espagne dans les années 1830 et au Mexique dans les années 1860, la proposition de Montfort envisageait d’augmenter les effectifs de la Légion en créant des unités spéciales, telles que la cavalerie et l’artillerie. La proposition est d’abord rejetée, mais le Sénat en accepte une version modifiée en 1908.
Après la fin de la Première Guerre mondiale, la France est confrontée non seulement à un grand nombre de volontaires étrangers voulant servir sous son drapeau, mais aussi à de nouveaux défis géopolitiques. En 1919, la Chambre des députés a donc révisé la proposition du vicomte de Montfort et l’a finalement acceptée. Le Sénat adopte la nouvelle loi en juillet 1920. Elle permet à la Légion étrangère, traditionnellement basée sur l’infanterie, de former non seulement un régiment de cavalerie, mais aussi un régiment d’artillerie et un bataillon de sapeurs. L’application de cette loi a conduit à une réorganisation importante de la Légion de l’entre-deux-guerres : le 1er Régiment étranger de cavalerie (1er REC) est créé en 1921, suivi de quatre compagnies de sapeurs-pionniers dans les années 1920. Enfin, huit batteries d’artillerie ont été activées au cours des années 1930 et 1940.
Section d’artillerie de montagne de la Légion
La première unité d’artillerie composée de légionnaires, formée après la Première Guerre mondiale, est la Section de 80 mm de montagne de la Légion, aussi connue sous son appellation simplifiée de Section d’Artillerie de Légion. Elle est créée dans la première moitié de l’année 1925 par décision ministérielle du 15 mai. Le lieutenant André Krijitsky, ancien capitaine d’artillerie de l’Empire russe, en prend le commandement. Équipée de canons de 80 mm de montagne Mle 1878 à chargement par la culasse et composée uniquement de légionnaires, la section est affectée au 3e Bataillon du 1er Régiment étranger d’infanterie (1er REI ; actuel 1er RE). Elle est implantée à Colomb-Béchar, dans l’ouest algérien, alors garnison du bataillon. Cependant, le potentiel opérationnel de l’unité ne peut être exploité lors de la guerre du Rif (1925-1926) au Maroc voisin, où une partie du régiment opère à l’époque. La section d’artillerie effectue plutôt des missions de reconnaissance autour de Colomb-Béchar, principalement dans les secteurs de l’Oued Guir, de Talzaza et de la vallée de la Zoufsana. Au milieu de l’année 1929, le lieutenant Sohier devient son nouveau chef.
Enfin, en 1931, la Section d’artillerie de Légion se rend au Maroc pour participer à la pacification du pays. En 1932, faisant partie d’un groupement du lieutenant-colonel Trinquet dans le Haut-Atlas, la section se distingue à la prise d’Anfergane et de Tazarine, au douar d’Ait Ali et au col de Tizi N’Saf. En juillet 1932, elle fait partie du groupe mobile du colonel Lalure et combat à Tizraouline, Assif Issoufa et Outerbat. En avril 1933, elle participe à la prise du Djebel Tagountza avec une colonne du lieutenant-colonel Suffren. Le 22 juillet 1933, lors d’une opération près d’Imedghas, les tirs de l’unité sauvent un groupe d’escadrons de spahis et chassent de ses positions l’ennemi qui attaque avec acharnement. Le mois suivant, la section d’artillerie prend part à l’occupation du Kerdous et du Djebel Baddou, où se sont réfugiés les derniers rebelles marocains. L’unité rentre à Colomb-Béchar à la mi-septembre 1933.
Après le retour du Maroc, il était évident qu’il n’y avait plus d’intérêt à utiliser la section d’artillerie. Son personnel qualifié fut détaché pour effectuer des tâches non liées à l’artillerie et remplacé, petit à petit, par des hommes de la compagnie de mitrailleuses du 3e Bataillon (CM3/1REI). Dans son rapport de juin 1934, le lieutenant Fiore, troisième et dernier chef de section, souligne le faible niveau d’instruction de ses hommes, qui s’étaient révélés incapables d’effectuer des exercices de tir réel. La Section d’artillerie de montagne de Légion fut dissoute le 30 septembre 1934 et ses légionnaires affectés à la CM3 du 1er REI.
Les batteries d’artillerie au Maroc de 1932 à 1939
Création des batteries
Au début des années 1930, le haut commandement envisage d’achever la pacification du Maroc et d’occuper les derniers territoires tenus par les rebelles : l’oasis de Tafilalt à l’est, les crêtes du Djebel Sagho et du Djebel Baddou du Haut-Atlas au centre et au sud-est du pays, et les régions sahariennes au sud de l’Anti-Atlas, près de Tindouf en Algérie.
Ne trouvant pas en métropole les renforts d’artillerie nécessaires, le commandant en chef des forces françaises au Maroc décide de créer, au sein de la Légion étrangère, des batteries capables d’appuyer les campagnes prévues.
Ainsi, le 15 mai 1932, deux batteries d’artillerie sont mises en place au sein des régiments étrangers stationnés au Maroc : l’une au sein du 2e REI et l’autre au sein du 4e REI.
Considérées comme des unités temporaires, formées pour achever la pacification du pays, elles portent le titre de « de marche ». Les deux batteries sont équipées de canons de 75 mm modèle 1897, comptant quatre pièces chacune. Quant au personnel, les batteries sont composées de légionnaires et de cadres venant de l’artillerie régulière, contrairement à la section d’artillerie de Légion en Algérie.
Outre le commandant et son adjoint, les batteries de marche se composaient de deux sections, chacune commandée par un adjudant (ou adjudant-chef). Les sections étaient ensuite réparties en deux pelotons de pièce, avec un sergent comme chef de pièce. Une section d’entretien, une section de transmissions et un peloton hors-rang (comprenant des fourriers, tailleurs, comptables, secrétaires et cuisiniers) complétaient la composition de chaque batterie.
Ne disposant pas de moyens de transport propres, les batteries de la Légion étaient souvent transportées par des camions Saurer de dix tonnes appartenant à la Compagnie africaine de transport (CAT), une société civile. Occasionnellement, le transport était assuré par des camions Berliet d’un régiment de train automobile servant au Maroc.
Les légionnaires des deux batteries portaient l’uniforme ordinaire. Toutefois, à titre de distinction, l’écusson de col de la veste était en drap écarlate (rouge) de la couleur de l’artillerie. Les artilleurs détachés portaient eux leur propre uniforme, mais un des boutons de la vareuse était remplacé par celui de la Légion. En outre, les officiers d’artillerie de la batterie du 4e REI portaient la grenade de la Légion sur le képi et l’écusson de col, avec le chiffre « 4 » à l’intérieur de la bombe de la grenade.
Batterie de marche du 2e REI de 1932 à 1934
La Batterie de marche du 2e REI est créée à El Hajeb dans la région de Meknès où se trouve alors l’état-major du 2e REI. La batterie est composée d’une soixantaine de sous-officiers et légionnaires complétés par des cadres du Régiment d’artillerie coloniale au Maroc (RACM) : un capitaine (commandant de batterie), un lieutenant (son adjoint), et plusieurs sous-officiers et brigadiers (caporaux de l’artillerie française). Sur le plan administratif, la batterie du 2e REI est rattachée à la compagnie montée du régiment (unité montée sur mulets).
On sait peu de choses sur la batterie du 2e REI. Elle reçoit son baptême du feu sur les pentes abruptes des gorges de l’Assif Melloul alors que le régiment combat à Tazigzaout (août-septembre 1932).
Après quelques semaines à Kerrando, la batterie intensifie ses actions pendant les opérations menées par le général Guiraud dans le Djebel Sagho à partir de janvier 1933. Cette chaîne de montagnes, dont les sommets presque insurmontables dépassent les 2 000 m, constitue la partie orientale de l’Anti-Atlas, dans le sud-ouest du Maroc. Son point culminant est le massif du Bou Gafer qui, à l’époque, servait de dernier refuge aux irréductibles tribus berbères qui avaient résisté à la présence française au cours des décennies précédentes.
Renforcée pendant une courte période par une section de canons lourds de 155 mm, la batterie appuie les troupes françaises (y compris plusieurs unités de la Légion) pendant la campagne du Djebel Sagho, aux côtés de la batterie du 4e REI. Plus tard, au cours de l’été, les deux batteries sont déplacées vers le nord pour participer à la conquête du Djebel Baddou. Cette montagne du Haut-Atlas était occupée par des insurgés qui avaient brisé l’encerclement à Bou Gafer. La batterie du 2e REI avance vers Imedghas et tire les derniers obus sur Agoudal, Tindoune et le col de Tizi Ouanola.
En février 1934, les troupes se dirigent vers l’extrême sud du Maroc, au sud de l’Anti-Atlas, où le colonel Trinquet lance probablement la première opération entièrement motorisée de l’armée française avec la participation de quatre unités motorisées de la Légion étrangère. L’opération dans cette région saharienne se concentre sur les dernières poches de résistance. Les deux batteries d’artillerie ont participé à l’opération en tant qu’éléments d’appui. En mars 1934, cette opération remarquable conclut avec succès les 27 années de pacification du Maroc par la France. La Légion y était présente depuis le début.
La batterie du 2e REI, alors composée de 2 officiers, 9 sous-officiers, 13 brigadiers et 40 légionnaires (soit 64 hommes), commandés par le lieutenant Pascaud, reçoit l’ordre de quitter sa garnison d’origine à El Hajeb pour rejoindre Ouarzazate, où elle s’installe dans le camp de son unité sœur le 18 mars.
Batterie de marche du 4e REI de 1932 à 1934
La Batterie de marche du 4e REI est créée à Ouarzazate, ville historique située au sud du Haut-Atlas. Comme son unité sœur, cette batterie était composée d’environ soixante sous-officiers et légionnaires. Ils sont rejoints par des cadres du 64e Régiment d’artillerie d’Afrique (64e RAA) : Le capitaine Battesti et son adjoint, le lieutenant Bray, ainsi que quelques sous-officiers supérieurs. La batterie du 4e REI est affectée à la compagnie hors rang (CHR).
Pendant les premiers mois de son existence, la batterie du capitaine Battesti s’occupe de l’instruction et de la construction d’installations militaires pour les canons et le matériel d’artillerie. Elle quitte Ouarzazate le 11 janvier 1933 pour des opérations dans le Djebel Sagho sous les ordres du général Giraud.
La batterie s’installe devant le massif du Bou Gafer et, jusqu’au 26 mars, effectue des tirs de harcèlement quotidiens pour empêcher l’ennemi de se réapprovisionner et de se réorganiser. Durant cette période, elle tire 5 461 obus, dont 877 le 28 février, jour de la célèbre bataille de Bou Gafer.
À la mi-avril 1933, la batterie retourne à Ouarzazate et reprend ses activités, l’instruction demeurant la priorité. Début juin, elle est alertée et transportée par le CAT au Djebel Baddou dans le Haut-Atlas. Avec leurs collègues du 2e REI, les artilleurs du 4e REI y éliminent les derniers rebelles cachés. Une section de canons de 105 mm Schneider est rattachée à la batterie pour ces opérations.
Jusqu’au début du mois de juillet, l’unité opère au col de Zegzaouine. Puis, elle appuie les forces françaises à Bouljam en tirant 1 170 obus. Au même moment, au nord, les tirs de la section Schneider de 105 mm bloquent l’ennemi dans la vallée d’Imdghas. À la mi-août, la batterie atteint Toughach en tant que composante du groupe mobile de Meknès avant d’assister, une semaine plus tard, à la reddition finale des dissidents. Malgré le terrain difficile, la réduction du Djebel Baddou est réalisée avec succès.
Fin août, la section de 105 Schneider est dissoute et la batterie retourne à Ouarzazate au début du mois d’octobre.
Au début de l’année 1934, les deux batteries de la Légion participent à la campagne de l’Anti-Atlas. Toujours transportées par la compagnie CAT, elles se rendent d’abord à Taroudant, dans le sud-ouest du pays, puis à Akka, à la lisière du Sahara, en passant par le massif de l’Anti-Atlas. Elles y arrivent le 22 février avec la Compagnie motorisée du 1er REI (future 1re CSPL) et le 6e Escadron du 1er REC. À partir d’Akka, une force opérationnelle motorisée sous les ordres du colonel Trinquet s’empare progressivement de vastes zones du sud et les sécurise. À la fin du mois de mars, elle occupe la ville de Tindouf, stratégiquement importante, située dans l’actuelle Algérie. La 1re section du lieutenant Baraton, de la batterie du 4e REI, prend part à cette opération. La pacification du Maroc est terminée.
À Tindouf, les artilleurs du 4e REI participent à la construction d’un poste militaire. Le 4 avril 1934, ils défilent devant le commandant en chef des forces françaises au Maroc et rentrent à Ouarzazate quelques jours plus tard.
Batteries de marche au Maroc de 1934 à 1939
Après la fin de la pacification du Maroc, les deux batteries sont stationnées à Ouarzazate. Elles reprennent leurs activités communes, alternant instruction d’artillerie, exercices de tir réel, manœuvres et travaux de construction (ex. : construction de routes).
En juillet 1935, les batteries quittent leurs quartiers et sont regroupées à Marrakech au sein du 4e REI. Le colonel Conte, alors commandant du régiment, interdit rapidement le port de l’écusson écarlate des artilleurs de la Légion. On raconte cependant que les artilleurs du 2e REI portaient à la place un losange écarlate sur le bras gauche, surmonté d’une grenade bleue de la Légion et de deux chevrons bleus dans l’angle supérieur de l’insigne.
Un mois plus tard, le 10 août 1935, les deux batteries forment le Groupe d’artillerie de la Légion (GAL) sous les ordres du commandant Pierre Brisac du 64e régiment d’artillerie d’Afrique.
En octobre de la même année, la batterie du 2e REI quitte la compagnie montée du régiment et est rattachée à la compagnie hors rang.
Au début du mois de juillet 1938, un drame sans précédent se produit. Le capitaine Prague, détaché du 64e RAA et devenu commandant la batterie du 4e REI, est retrouvé mort chez lui. Il a été assassiné par son ordonnance, un légionnaire allemand qui avait l’intention de déserter la Légion et qui voulait l’argent et la voiture du capitaine. Le pauvre officier est remplacé par le capitaine Champeau.
Malheureusement, l’année suivante, de tristes événements surviennent également en Europe, interrompant les deux décennies de paix que le vieux continent avait connues après la Première Guerre mondiale. En septembre 1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne nazie après que celle-ci a envahi la Pologne.
Batteries portées au Maroc de 1939 à 1943
A l’approche de la guerre, les unités de la Légion étrangère en Afrique sont en pleine réorganisation. Fin août 1939, la batterie du 2e REI est administrativement dissoute. Deux semaines plus tard, une nouvelle batterie est constituée et ratachée au 4e REI (vraisemblablement celle du 2e REI qui y est transférée). Les deux batteries du 4e REI sont désormais des unités organiques permanentes, perdant leur attribut « de marche ». Elles deviennent la 1re Batterie portée (la batterie d’origine du 4e REI) et la 2e Batterie portée, dont les canons sont transportés sur leurs propres camions Latil.
Les deux batteries se rendent sur la côte atlantique pour contre-attaquer d’éventuels débarquements ennemis. La 1re Batterie portée s’installe à Port Lyautey (aujourd’hui Kénitra), une ville portuaire du nord-ouest du Maroc. La 2e Batterie portée est stationnée à Agadir, une ville du sud-ouest du pays.
Pour renforcer la défense côtière, la 3e Batterie portée est créée à la mi-juin 1940, au sein du 4e REI et tient garnison à Mogador, ville portuaire de l’ouest du Maroc, à l’est de Marrakech.
Toutefois, le même mois, après la victoire allemande dans la bataille de France, un armistice est signé. Il en résulte une occupation partielle de la France par les Allemands et la mise en place d’un nouveau gouvernement français qui adopte une politique de collaboration. Il s’ensuit une vaste réduction de l’armée française, y compris de la Légion, et la dissolution du 4e REI à la mi-novembre 1940. Par conséquent, les trois batteries – toujours regroupées dans un groupe d’artillerie – sont affectées au 2e REI. Cependant, la 1re Batterie portée quitte le régiment deux semaines plus tard pour être rattachée au 3e REI, un autre régiment de la Légion stationné au Maroc à l’époque.
Le Maroc connaît une période relativement calme jusqu’en 1942. Au vu des combats en Égypte et en Libye d’Afrique du Nord entre les Britanniques et les forces de l’Axe (Allemands et Italiens), une invasion des territoires de l’Afrique du Nord française (Maroc, Algérie et Tunisie) par les Alliés était attendue. C’est ce qui s’est produit au début du mois de novembre 1942, lorsque les États-Unis ont effectué des débarquements dans le cadre de l’opération Torch, leur première participation massive à la Seconde Guerre mondiale.
Les batteries d’artillerie de la Légion participent à la résistance contre l’invasion. La 1re Batterie portée du 3e REI à Port Lyautey affronte environ 9 000 soldats américains de la Task Force 34-8 du contre-amiral Kelly et aurait à déplorer un mort et quatre blessés. Elle a également appuyé les troupes françaises. Comme le note l’historien américain Vincent O’Hara dans son ouvrage Torch : North African and the Allied Path to Victory, à Port Lyautey le jour J (8 novembre), « …soutenus par l’artillerie, les bataillons français et marocains ont monté des contre-attaques réussies, capturant quelque 200 Américains et bloquant leur progression sur la forteresse ».
La 2e Batterie portée du 2e REI à Safi (où elle avait été transférée d’Agadir) rencontre la Task Force 34-10 du contre-amiral Davidson (environ 6 000 hommes). Un lieutenant de la batterie est fait prisonnier alors qu’il tente d’installer un meilleur point d’observation pour corriger le tir.
Quant à la 3e Batterie portée, elle n’a rencontré aucun débarquement à Mogador.
On ne connaît pas d’autres détails sur l’activité des batteries de la Légion au cours de cette campagne de trois jours. Selon une étude de la Marine des États-Unis datant de 1944, qui avait minutieusement documenté les débarquements américains en Afrique du Nord, les seules troupes qui ont opposé une forte résistance lors de « l’expédition marocaine » étaient « les soldats professionnels de la Légion étrangère ». Pourtant, nous savons que d’autres unités françaises se sont également battues avec courage.
Peu après le succès du débarquement américain, les autorités françaises en Afrique du Nord se rangent du côté des Alliés et se préparent pour la campagne de Tunisie contre l’Axe. Celle-ci débute au début de l’année 1943. Entre-temps, à la fin du mois de mars, le 2e REI est dissous. Ses deux batteries sont affectées au P.C. du 3e REI à Fès et forment, avec la batterie du 3e REI, un nouveau groupe d’artillerie.
Groupe autonome d’artillerie de Légion
AVIS : Les informations suivantes, issues du JMO de ce groupe méconnu, n’ont jamais été publiées auparavant, ni en France, ni à l’étranger. Le site FOREIGN LEGION INFO est honoré d’être le premier à présenter ces détails rares qui ont été cachés pendant 80 ans exactement.
Création du GAAL
À la suite du débarquement allié et des changements politiques en Afrique du Nord française, les trois batteries de la Légion sont transférées à Oujda, au nord-est du Maroc, à la frontière avec l’Algérie. C’est là que les deux batteries du 2e REI apprennent leur affectation au 3e REI, l’un des deux régiments français les plus décorés. Les artilleurs de la Légion peuvent ainsi porter la prestigieuse double fourragère de cette unité.
Le 1er avril 1943, le Groupe autonome d’artillerie de Légion (GAAL) est créé à Oujda. Également connu sous le nom de Groupe autonome d’artillerie du 3e REI, il sert d’organe de commandement et n’a aucun rôle administratif, comme les groupes d’artillerie précédents. Sur le plan administratif et opérationnel, le GAAL est subordonné au commandant de la subdivision d’Oujda et au colonel du 63e RAA à Fès ; ce dernier fournit le personnel d’artillerie, y compris la plupart des officiers du groupe.
Le groupe d’artillerie d’Oujda est composé d’un état-major et de trois batteries de canons de 75 mm, qui sont désormais désignées comme tractées et non plus portées. Le groupe est commandé par le commandant Duchen de l’artillerie.
Composition du GAAL au début du mois d’avril 1943 :
- Commandant: commandant Duchen
- 1re Batterie: capitaine Loisy
- 2e Batterie: capitaine Blouin
- 3e Batterie: capitaine Dubost
Sur le papier, les batteries du GAAL devaient comprendre deux officiers d’artillerie et un officier de la Légion, trois sous-officiers d’artillerie et 12 sous-officiers de Légion, ainsi que 85 légionnaires, dont 45 servants et 23 chauffeurs. Cependant, les chiffres réels sont différents. La 1ère Batterie du capitaine Loisy, avec pour adjoint le lieutenant Guillaume, compte 11 sous-officiers – dont 9 de la Légion – et 56 légionnaires. La 2e Batterie sous les ordres du capitaine Blouin et du lieutenant Oberlin, son adjoint, comprend 11 sous-officiers (dont 8 de la Légion) et 69 légionnaires. La 3e Batterie du capitaine Dubost, avec pour adjoint le lieutenant Leturcq, est forte de 12 sous-officiers (dont 9 de la Légion) et de 71 légionnaires.
Les trois batteries ont continué à être administrées séparément et ont été affectées à la portion centrale du 3e REI à Fès. En fait, à l’époque, cette portion fonctionnait comme un simple dépôt administratif. Le 3e REI a été déployé en Tunisie à partir de la fin de l’année 1942. Il a subi des pertes importantes lors des combats avec l’Afrika Korps allemand. Sa reconstitution par des légionnaires du 2e REI – le plus ancien régiment de la Légion – avait entraîné la dissolution de ce dernier et le transfert de ses batteries d’artillerie. Cependant, le 3e REI n’a pas survécu longtemps en tant qu’unité opérationnelle. Il a été dissous en juin 1943, après la fin de la campagne de Tunisie. Seule sa portion centrale à Fès est restée active, avec le groupe d’artillerie et cinq compagnies montées et portées semi-indépendantes qui lui sont rattachées.
En ce qui concerne les moyens de transport du groupe, chaque batterie devait être équipée de deux voitures (pour les officiers), sept camionnettes ou camions légers, cinq camions, cinq tracteurs d’artillerie pour tracter les canons, un tracteur agricole avec une remorque, une motocyclette et trois bicyclettes. Malheureusement, le document ne fournit pas d’informations sur le nombre et le type de pièces d’artillerie. Cependant, compte tenu du nombre de tracteurs, il pourrait y avoir eu quatre ou cinq canons par batterie.
Les activités du groupe se limitaient à l’instruction et à des exercices de tir réel. Les exercices avaient lieu au champ de tir du Djebel Mehriris environ une fois par mois, et les batteries tiraient un total d’environ 300 à 500 obus à chaque fois.
GAAL à Oujda en 1943
Fin avril 1943, le GAAL est renforcé par 7 sous-officiers, 12 caporaux et 110 légionnaires. À la mi-mai, le lieutenant Viader de la Légion étrangère rejoint l’état-major du groupe pour devenir l’officier des transmissions, responsable des systèmes de communication.
Entre-temps, la campagne de Tunisie a réussi ; la dernière résistance de l’Axe en Afrique a pris fin. Les Alliés consacrent désormais tous leurs efforts à la libération de l’Europe. Les troupes françaises d’Afrique du Nord sont largement réorganisées et progressivement réarmées avec du matériel moderne américain. De nouveaux types d’unités sont formés, dont les parachutistes. Ces changements affectent également la Légion en Afrique du Nord. En juin, trois de ses plus anciens régiments ont été dissous pour faire place à une seule unité d’infanterie opérationnelle, le RMLE. Seuls le 1er REC (Cavalerie) et le Groupe d’artillerie – qui se partagent la garnison d’Oujda – restent actifs. Leurs légionnaires peuvent ainsi espérer être incorporés dans les nouvelles divisions et participer à la prochaine campagne sur le vieux continent.
Début juin, les premiers officiers de la Légion étrangère sont affectés aux batteries : le lieutenant Haymerle à la 2e Batterie et le lieutenant Tchernomazenko à la 1re. Ce dernier officier est né en Russie et a rejoint la Légion en 1921, comme simple légionnaire. Il a pris sa retraite 40 ans plus tard en tant que lieutenant-colonel.
Fin juillet, le GAAL est inspecté par le général Ronin, alors commandant de l’artillerie au Maroc.
Début octobre, environ 25 légionnaires désertent en deux jours, pour des raisons non précisées. Cependant, au sein de l’armée française en Afrique du Nord en 1943, il n’était pas rare de voir des désertions dans les formations traditionnelles, les hommes cherchant à rejoindre, en Algérie, les unités les plus attrayantes et nouvellement établies – les bataillons « de choc » ou de parachutistes – dont les commandants savaient bien comment remédier au problème de désertion par la suite.
En réponse, le commandant en chef au Maroc a ordonné de déplacer le GAAL d’Oujda à Sefrou, dans le centre du Maroc, à environ 290 km au sud-ouest. Il s’agissait d’une étape logique, puisque Sefrou n’était situé qu’à 30 km environ au sud-est de Fès.
Lors de son transfert à Sefrou le 9 octobre, la 3e Batterie est surprise près de Guercif par une crue subite de la Moulouya qui renverse deux de ses tracteurs d’artillerie. Pendant ce temps, le lieutenant Leturcq et le caporal-chef Cerne se distinguent en sauvant de la noyade un chef de bataillon d’infanterie coloniale et son conducteur indigène.
La 2e Batterie se rend à Sefrou trois jours plus tard, mais doit s’arrêter à Taza, car les trois quarts de ses hommes souffrent d’une grave intoxication alimentaire.
Le 14 octobre, le sergent Reithofer de la 3e Batterie meurt d’une maladie liée au service.
Le lendemain, l’ensemble du GAAL est regroupé à Sefrou, au Fort Prioux.
GAAL au Fort Prioux à Sefrou de 1943 à 1944
Entre-temps, le capitaine Dubost a quitté la 3e Batterie et a été remplacé par le lieutenant Leturcq. Pour l’anecdote, un certain capitaine Dubost avait commandé une batterie de la Légion au Levant en 1941 (décrite plus loin dans le texte).
Le 1er novembre, suite à un avis de service du commandant en chef des forces françaises au Maroc, les batteries perdent leur autonomie par rapport au GAAL. Ce dernier devient lui-même indépendant à la même date et est rattaché à la PC du 3e REI à Fès pour toutes les tâches administratives et comptables liées à « la régularisation et la liquidation trimestrielle de ses comptes ». En d’autres termes, le groupe d’artillerie sera dissous trois mois plus tard.
À la mi-novembre, le maréchal des logis Gerardot de la 3e Batterie est grièvement blessé lors d’une reconnaissance à moto et évacué à l’hôpital de Fès avec une fracture du crâne. Il succombe à ses blessures fin décembre.
Fin novembre, le GAAL a repris ses exercices mensuels de tir réel, cette fois sur le champ de tir de Sefrou. Les batteries n’ont tiré au total qu’environ 200 à 300 obus.
Le 2 décembre, le sergent-chef Holzapfel de l’état-major du groupe décède alors qu’il effectue une mission de service pour le chef de service du génie militaire à Fès.
À la mi-décembre, le lieutenant Guillaume de la 1re Batterie remplace le lieutenant Leturcq au commandement de la 3e. Il s’agit probablement du même lieutenant Guillaume qui, avec la 1re Batterie portée, a fait face au débarquement des troupes américaines à Port Lyautey en novembre 1942.
En février 1944, un détachement de 10 sous-officiers et 90 légionnaires quitte le groupe pour former une compagnie de canons de la 1re division d’infanterie motorisée (1re DIM) et participer à la campagne d’Italie.
Le Groupe autonome d’artillerie de Légion est dissous à Sefrou le 15 février 1944. Le personnel de l’artillerie rejoint le Centre d’organisation de l’artillerie n°16 (COA 16) à Fès ; les légionnaires retrouvent la portion centrale du 3e REI dans la même ville. Les matériels de toute nature sont transférés au 7e régiment d’artillerie coloniale (7e RAC).
Après près de vingt ans d’existence, l’artillerie de la Légion en Afrique du Nord disparaît définitivement, tout comme le projet d’un régiment d’artillerie composé de légionnaires, et ne sera jamais relancée après la Seconde Guerre mondiale.
Batteries d’artillerie sahariennes de la Légion étrangère
Origines : BSP/1REI à partir de la mi-1938
L’artillerie saharienne de la Légion étrangère est un sujet peu étudié. La raison en est simple : il n’y a pratiquement pas d’informations à ce sujet dans les archives. C’est peut-être l’explication pour laquelle, pendant des décennies, les sources officielles de la Légion ont répété des inexactitudes concernant le tracé des origines des légionnaires-artilleurs dans les régions sahariennes de l’Algérie. Le texte qui suit tente de présenter une image plus complète et plus précise de leur histoire, compilée à partir des quelques bribes d’informations disponibles sur le sujet aujourd’hui, au milieu des années 2020.
La nécessité de former des batteries d’artillerie dans les régions sahariennes de l’Est algérien est apparue à la fin des années 1930, lorsque le gouvernement français craignait l’éclatement d’un conflit avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. On redoutait en effet que les troupes italiennes stationnées en Libye italienne n’envahissent l’Algérie française voisine.
Il fut donc décidé, à Paris, que la frontière algéro-libyenne (le front Est-Saharien) serait renforcée, entre autres, par deux batteries d’artillerie motorisées. Celles-ci furent créées en 1938 et stationnées à Ouargla, chef-lieu du Territoire des Oasis, une vaste unité administrative couvrant la moitié orientale des zones désertiques de l’Algérie, le long de laquelle s’étendait la frontière avec la Libye.
La première de ces deux unités est une batterie peu connue de l’artillerie régulière française, la Batterie saharienne portée mixte (BSPM), équipée à la fois de canons de campagne et de canons antichars (d’où l’appellation « mixte »). Ses hommes provenaient principalement du 67e RA (67e régiment d’artillerie) de Constantine.
La Légion étrangère fournit la seconde batterie : la Batterie saharienne portée (BSP) du 1er REI. Bien que les sources officielles de la Légion datent sa formation à (la fin de) 1939, la BSP/1REI a en réalité été organisée à Ouargla dès le 1er juillet 1938. La batterie était équipée de cinq canons de 75 mm modèle 1897. Malheureusement, nous ne savons rien de cette unité en termes de commandants et d’hommes.
Son premier défilé public a eu lieu à Ouargla en novembre 1938, avec cinq camions transportant les légionnaires et tractant les canons.
Au cours du premier semestre 1939, la Batterie saharienne du 1er REI se dote de son propre insigne, qui apparaît dans L’Illustration de juillet 1939, dans un article présentant les plus beaux insignes militaires français. À l’époque, la batterie est commandée par le capitaine Georges Ardassenoff, l’un des nombreux officiers russes de la Légion d’après-guerre qui ont échappé à la révolution bolchevique.
CATTO en 1939-1940
Début octobre 1939, par décision ministérielle n° 8267 9/1 du 26 juin, la Compagnie automobile de transport du Territoire des Oasis (CATTO) est constituée à Ouargla. Elle est composée de personnel de la Légion.
Là encore, nous ne savons presque rien de cette unité. Certaines sources de la Légion la décrivent comme une formation militaire distincte, tandis que d’autres affirment qu’elle était un prédécesseur de la Batterie saharienne portée de Légion. Toutes les sources indiquent le même capitaine Ardassenoff comme son commandant. Bien entendu, ces informations contradictoires prêtent à confusion.
Sur la base de mes propres recherches, j’émets deux hypothèses. La première est que la BSP/1REI s’est transformée en CATTO en octobre 1939. Cela signifierait qu’il n’était plus nécessaire qu’une batterie saharienne de la Légion défende la frontière algérienne contre une éventuelle attaque italienne, alors que la France et la Grande-Bretagne avaient déclaré la guerre à l’Allemagne quelques semaines plus tôt. Cette théorie semble donc peu probable, même si nous ne pouvons pas l’exclure complètement.
La seconde hypothèse suppose que la CATTO ait été créée pour la même raison que d’autres unités CAT ayant servi les batteries d’artillerie au Maroc. En d’autres termes, le but premier était de séparer formellement les éléments de transport de l’unité de combat et de n’utiliser les camions CAT que pour transporter des pièces et des hommes – et peut-être pas seulement ceux de la batterie de la Légion, mais aussi ceux de la batterie mixte française. Cette théorie semble plus probable. Elle n’exclut pas non plus la possibilité que la CATTO ait été officiellement placée sous le commandement du capitaine Ardassenoff en même temps que la BSP/1REI. (Un tel cas de double commandement n’était pas rare au sein de la Légion).
La CATTO devait utiliser des véhicules de différents types, notamment des camions américains Ford BB V8 et des camions soviétiques ZIS-5 (ces derniers provenant de la guerre civile espagnole avec les Républicains espagnols en fuite). Cependant, ces véhicules n’étaient pas adaptés au Sahara, en particulier les camions soviétiques, qui étaient conçus pour tracter des pièces d’artillerie dans les régions arctiques. Selon les témoignages, sur le trajet de 600 km entre Ouargla et Fort Flatters, une importante forteresse du Sahara algérien, les camions soviétiques ont consommé 600 litres d’essence et la même quantité d’eau.
Après l’échec de la bataille de France et la signature de l’armistice avec l’Allemagne en juin 1940, l’armée française a été réorganisée. Cette réorganisation comprenait des unités au Sahara.
BSPL de 1940 à 1941
À Ouargla, le 1er novembre 1940, est créée la Batterie saharienne portée de Légion (BSPL), toujours sous les ordres du capitaine Ardassenoff. Selon les sources connues, la batterie a été formée avec le personnel du CATTO, déjà dissous à cette date. On peut également supposer que la BSPL a été formée en fusionnant la BSP/1REI et la CATTO en une seule unité.
La BSPL était stationnée dans un ancien hôpital de Ouargla, qui devint l’état-major de la batterie. Les camions hérités de la CATTO furent transformés en porte-canons par la démolition des ridelles et l’ajout de rampes de chargement et d’un système d’ancrage des canons. En outre, la batterie était équipée de camions français Latil.
1re BSPL et 2e BSPL de 1941 à 1943
Quelques mois plus tard, le 15 mars 1941, la 2e Batterie saharienne portée de Légion (2e BSPL) est créée dans le Territoire des Oasis. Si les quelques sources connues du public n’ont pu fournir plus de détails sur son origine, on peut révéler aujourd’hui, après plus de 80 ans, qu’il s’agit en fait de la presque oubliée Batterie portée mixte (BSPM). Transférée d’Ouargla à Fort Flatters en 1939, elle s’y est transformée en une nouvelle batterie de la Légion, la 2e BSPL. Cette transformation a été effectuée à la suite d’une décision du ministère de la Guerre datant du début du mois de mars 1941.
La même décision stipule que les hommes de la nouvelle unité – dont 30 conducteurs de camions – doivent être des légionnaires. Il est aussi décidé que le nombre de brigadiers et de brigadiers-chefs qui n’appartiennent pas à la Légion ne doit pas dépasser les trois cinquièmes de leur effectif total dans la batterie, alors qu’au contraire le nombre de sous-officiers de la Légion doit atteindre au moins les trois cinquièmes de l’effectif total des sous-officiers. La grande majorité du personnel de la Légion étrangère provient des Groupes de travailleurs étrangers (GTE) rattachés à Ouargla.
Quant aux officiers (le capitaine-commandant et les deux lieutenants-chefs de section), ceux qui sont déjà en place sont maintenus dans leurs fonctions. Les officiers étaient des Méharistes (unités sahariennes). Le capitaine Castay reste donc commandant de la 2e BSPL, avec le lieutenant Lautier comme adjoint. Plus tard, le lieutenant Chevillotte de la Légion rejoint la batterie.
Selon le lieutenant Lautier, l’effectif de la batterie était d’environ 150 hommes, ce qui était beaucoup pour une batterie d’artillerie de la Légion de l’époque.
L’équipement de la batterie reste le même. À l’époque, il s’agit de quatre canons de 75 mm transportés sur des camions Latil (une autre source mentionne des camions Laffly). Les canons antichars de 25 mm ne sont plus mentionnés.
Lors de la transformation du BSPM en 2e BSPL, la BSPL d’Ouargla devient la 1re BSPL le 1er avril 1941. Pour mémoire, cette dernière batterie était composée uniquement de légionnaires et de cadres de la Légion.
Fin 1942, après le succès du débarquement américain en Afrique du Nord, les autorités françaises se rangent du côté des Alliés et se préparent à la campagne de Tunisie contre l’Axe. Des détachements des deux batteries sahariennes y participent aux côtés de deux compagnies motorisées de la Légion (CSPL et CMP/1REI). De février à avril 1943, en liaison avec d’autres troupes françaises, ils opèrent le long de la frontière tunisienne et participent à plusieurs batailles en Tunisie : à Metlaoui et à l’occupation du Djebel Asker et de Bir Oum Ali. Après la défaite des forces ennemies en Afrique du Nord, les deux détachements de la BSPL se regroupent dans les régions algériennes de Negrine et de Biskra avant de rejoindre leurs garnisons respectives.
Les batteries sahariennes de la Légion, désormais redondantes, sont dissoutes le 1er décembre 1943, afin de libérer des hommes pour les opérations alliées à venir en Europe. Le capitaine Ardassenoff, quant à lui, reste au Sahara et prend le commandement de la CSPL en 1944. Il sera tué par deux nationalistes algériens anti-français en 1946.
Groupe d’Artillerie de Légion du Levant
La dernière région à avoir vu la mise en place des batteries d’artillerie de Légion a été le Levant (Syrie et Liban), sous administration française depuis la fin de la Première Guerre mondiale. La décision de constituer les nouvelles batteries dans cette région a été prise fin 1940, dans le cadre de la réorganisation de l’armée française de l’époque.
Ainsi, le 1er janvier 1941, le 6e REI – régiment de Légion du Levant – retrouve son effectif complet. Reformé à quatre bataillons, il est doté d’un groupe d’artillerie composé de trois batteries portées de quatre canons de 75 chacune : le Groupe d’Artillerie de Légion du Levant (GALL), sous les ordres du commandant Ribérolles. Implanté à Homs en Syrie, le groupe est rattaché, sur le plan opérationnel, au 2e Régiment d’artillerie métropolitaine du Levant (2e RAML).
Les officiers et quelques sous-officiers du groupe sont des artilleurs métropolitains. En ce qui concerne les sous-officiers, caporaux et légionnaires, ils ont été fournis par le 6e Étranger. Les officiers et la troupe portent l’écusson du régiment sur fond rouge.
Début juin 1941, la campagne de Syrie a commencé par l’invasion du Levant par les Britanniques, les ex-alliés. Le 6e Étranger et le GALL ont participé activement à la défense des deux pays. La 1re Batterie du capitaine Evrard s’est distinguée par son action à Djezzine, en appuyant de ses tirs le 1er bataillon du 6e REI, puis à Nebeck et à Rakka. La 2e Batterie du capitaine Petiteler a bravement combattu dans les secteurs de Damas et de Machghara. Quant à la 3e Batterie, du capitaine Dubost, elle s’est distinguée dans les opérations à Chtoura, puis à Ghaziyeh et à Damas. Les combats cessent le 12 juillet et un armistice est signé deux jours plus tard.
Au cours de la campagne, le GALL a maintenu bien haut la réputation de l’artillerie de la Légion. Ses pertes sont lourdes. Sur un effectif d’environ 120 hommes, 33 sont tués ou blessés. Parmi eux se trouve le lieutenant André Lagrange de la 3e Batterie, tué dans la nuit du 10 au 11 juillet.
En août, le 6e Étranger, avec son GALL, quitte le Levant. Le 25, le régiment arrive à Pau, où le Groupe d’artillerie est dissous au camp d’Idron, le 15 septembre 1941.
3e Groupe du 68e Régiment d’artillerie d’Afrique (1941)
Pour conclure le sujet des batteries d’artillerie de Légion en Afrique du Nord, il ne faut pas oublier les trois batteries implantées directement à Sidi bel-Abbès, la maison mère de la Légion étrangère de l’époque, située dans le nord-ouest de l’Algérie. Ces batteries forment le 3e Groupe du 68e Régiment d’artillerie d’Afrique (68e RAA). L’histoire de ce régiment, dont l’état-major se trouvait à l’ouest de Bel-Abbès, à Tlemcen, commence le 16 avril 1941.
L’information la plus intéressante et jusqu’à présent inédite est le fait que, dès le début de la formation du groupe, les effectifs de ses trois batteries étaient probablement constitués exclusivement de légionnaires du 1er REI. Selon le rapport de leur colonel, au début du mois de juillet 1941, environ 180 d’entre eux servaient dans le 3e Groupe du 68e RAA, ce qui nous donne 60 hommes par batterie. Ce chiffre correspond à la moyenne habituelle des effectifs des batteries d’artillerie de la Légion au Maroc et au Levant entre 1932 et 1944.
Le même rapport indique également qu’il faudra un certain temps avant que ces légionnaires puissent être progressivement remplacés par des artilleurs français. Malheureusement, aucun autre détail n’est connu.
Conclusion
Le sujet de l’artillerie de la Légion étrangère est l’un des moins étudiés de l’histoire de cette troupe exceptionnelle. La situation et l’évolution de la conduite de la guerre moderne nous montrent à quel point c’est dommage. L’artillerie a revêtu, surtout pendant la Seconde Guerre mondiale, un aspect très important de la capacité de combat de la Légion. Cinq batteries ont défendu l’Afrique du Nord française. Trois batteries du 6e REI ont fait face à l’invasion britannique en Syrie et au Liban, en juin 1941. Au Sénégal, en Afrique de l’Ouest, de 1941 à 1943, la 4e DBLE disposait d’une section d’artillerie armée de canons antichars de 25 mm. En outre, la 13e DBLE, alors séparée, possédait sa propre unité d’artillerie, qui a combattu les Allemands en Égypte et en Libye en 1942. Enfin, un petit détachement d’artillerie du 5e REI a vaillamment résisté à l’attaque japonaise en Indochine française en 1945 avant de succomber.
Comme nous l’avons vu, à un moment donné (mi-1941), les légionnaires ont probablement armé jusqu’à onze batteries d’artillerie. Huit de ces batteries appartenaient directement à la Légion. Il a donc été fait un usage suffisant de la loi de 1920 qui permettait à la Légion de créer en son sein non seulement un régiment de cavalerie mais aussi un régiment d’artillerie. Toutefois, ces batteries n’ont jamais constitué un régiment à part entière.
Après la Seconde Guerre mondiale, les batteries de la Légion ont été remplacées par des compagnies ou des sections équipées de mortiers lourds (120 mm), qui ont combattu en Indochine, en Algérie et, plus tard, en ex-Yougoslavie. Cependant, même ces unités ont disparu à la fin des années 1990. Elles ont été remplacées par de petites équipes dotées de mortiers légers de 80 mm.
Au début des années 1980, des sections antiaériennes très négligées, et donc presque inconnues, armées de canons modernes de 20 mm, sont apparues dans les régiments opérationnels de la Légion étrangère. Ces unités plutôt novatrices ont elles aussi disparu discrètement à la fin des années 1990.
Il serait intéressant de voir si, dans un avenir proche, les changements récents sur le champ de bataille moderne inciteront un responsable à dépoussiérer la loi plus que centenaire et à renforcer ainsi l’importance de la Légion étrangère. Y aura-t-il une discussion sur la création d’un nouveau régiment d’artillerie dans la Légion actuelle, en plus des régiments de cavalerie et de génie existants ? Nous le verrons bien. Je ne doute pas que, dans quelques années, les nouveaux artilleurs de la Légion pourront constituer l’élite de l’armée française dans leur domaine comme le sont aujourd’hui leurs camarades de l’infanterie, de la cavalerie et du génie.
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Principales sources d’informations :
Képi blanc revues (1978, 1994)
Gazette des Uniformes revues (2005)
Légion Etrangère revues (1941, 1942)
Revue militaire française (1936)
Revue des Deux Mondes (1950)
Jean Paul Mahuault: Légionnaires Sahariens (L’esprit du Livre, 2011)
Pierre Soulié: Paul-Frédéric Rollet : Père de la Légion étrangère (Editions Italiques, 2007)
Charles Moran: The Landings in North Africa, November 1942 (U.S. Government Printing Office, 1944)
Vincent O’Hara: Torch: North African and the Allied Path to Victory (U.S. Naval Institute Press, 2015)
A. Lohse, J. Middaugh: Operation Torch 1942 (Naval History and Heritage Command, 2019)
Bruck Family Genealogy
3ème Groupe de Transport (Fr)
Service historique de la Défense (Fr)
Wikipedia.org
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L’article original : Foreign Legion Artillery Batteries
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En savoir plus sur l’histoire de la Légion :
Groupement Porté de Légion Etrangère du Maroc
Legionnaires parachutistes pendant la Seconde Guerre mondiale
Pelotons de Réparation de Légion Etrangère
61ème Bataillon Mixte de Génie Légion
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La page a été mise à jour le : 22 juin 2024