Introduction
En septembre 1939, l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. Toutefois, après une offensive allemande écrasante en mai-juin 1940, les autorités françaises sont contraintes de signer un armistice et de cesser toutes opérations militaires contre l’Allemagne. La France est partiellement occupée par les troupes ennemies, mais le reste du pays et ses colonies d’outre-mer continuent de vivre sous l’administration du nouveau gouvernement français (France de Vichy).
Mais l’Angleterre, et puis les États-Unis, veulent débarrasser l’Europe d’Hitler. Les deux pays décident d’utiliser l’Afrique française du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) comme leur point de départ pour la libération de l’Europe, et l’envahissent en novembre 1942 (opération Torch). Le commandement français, ainsi que ses forces, rejoignent les Alliés ; ils contribuent ensuite alors de façon significative, y compris la Légion étrangère, à la défaite des Allemands et des Italiens occupant la Tunisie. Par la suite, les Alliés commencent à réorganiser les forces françaises en Afrique du Nord afin de pouvoir participer aux futures opérations en Europe. Les premières unités aéroportées apparaissent.
Légionnaires-commandos du Bataillon de Choc
Parmi eux, le tout premier est le Bataillon d’Assaut (rebaptisé plus tard Bataillon de Choc). Constitué uniquement de volontaires, cette unité commando était capable d’être projetée derrière les lignes ennemies pour des missions de harcèlement et de sabotage, ou pour supporter et former de la Résistance. Elle s’appuyait sur l’exemple des SAS anglais.
Le Bataillon de Choc est créé en Algérie fin mai 1943, à l’initiative du général Henri Giraud, alors commandant-en-chef des troupes françaises en Afrique du Nord. Une note du service de recrutement est envoyée dans toutes les unités d’AFN, y compris les régiments de la Légion étrangère, pour chercher des volontaires. Nombreux sont ceux qui s’inscrivent, malgré la mauvaise volonté de certains chefs de corps, déjà confrontés à un fort sous-effectif de leurs troupes après la campagne de Tunisie.
Donc, encore en mai 1943, une quarantaine de légionnaires – officiers, sous-officiers et hommes de troupe – rejoignent le Bataillon de Choc à Staoueli, une commune située à l’ouest d’Alger. Une grande partie d’entre eux viennent du Maroc, des unités portées et montées du 3e REI. Certains de ces volontaires sont transférés par des moyens formels, d’autres décident sans hésiter de quitter en toute discrétion leur unité d’origine et de prendre part à une nouvelle aventure. Une fois dans le bataillon, leur situation administrative est réglée rapidement.
Outre la Légion étrangère et l’armée d’Afrique, les volontaires viennent de corps démobilisés en 1940. Parmi eux figurent aussi des hommes échappés de la Métropole ou de camps de prisonniers. Tous unis par leur volonté de libérer la France.
Les légionnaires sont affectés à cette nouvelle unité d’élite parmi les premiers, et répartis entre les trois compagnies. Le commandement du jeune Bataillon de choc est confié au chef de bataillon Fernand Gambiez. C’est un ancien de la Légion étrangère avec laquelle il a servi au Maroc, entre 1927 et 1935. Une liberté totale lui est accordée pour constituer ses cadres, son armement, sa doctrine d’emploi.
Mêlés aux volontaires d’autres armes, les légionnaires contribuent à la formation du « CHOC » qui se définit lui-même par la formule : « Puissance de la Légion, légèreté du chasseur, chic du cavalier ».
L’armement est léger : mitraillettes Sten, pistolets, armes blanches, grenades, fusils. Les vêtements sont américains. Tous les volontaires du bataillon participent à l’entraînement dispensé par les spécialistes britanniques et américains. Les techniques commandos sont relatives aux nouvelles méthodes élaborées par les forces spéciales alliées. Néanmoins, en raison de blessures graves lors de l’atterrissage en parachute, le nombre des sauts d’entraînement est limité à quatre.
Après avoir participé brillamment à la libération de la Corse (premier département français libéré), effectuée en septembre 1943, le bataillon s’installe à la citadelle de Calvi. Il y poursuivra son entraînement commando utilement conseillé par des spécialistes alliés (tel le capitaine Peter Neale des commandos britanniques). Même les sauts en parachute ne seront pas négligés.
Parmi les officiers du bataillon de Calvi de l’époque, on trouve le capitaine Jacques Lefort, commandant la 2e Compagnie. Il a passé les cinq premières années de sa carrière militaire au sein de la Légion – en Algérie, au Sahara, au Maroc, et en Norvège. Commandant du Bataillon de Choc fin 1944, il deviendra en 1958 le chef de corps du 2e REP, puis l’inspecteur général de la Légion étrangère.
Une partie du contingent légionnaire de ce bataillon d’élite constitue alors la « section Légion », rebaptisée plus tard « section expérimentale ». Cette section de commandos d’élite est chargée de mettre en œuvre, d’appliquer et de vérifier l’emploi de nouveaux procédés de combat. Certains de ces commandos participeront aux sabotages réalisés sur la côte italienne au cours de l’hiver 1943-1944.
En juin 1944, l’Armée « B » française du général de Lattre de Tassigny reçoit pour mission de s’emparer de l’île d’Elbe (l’opération Brassard), située entre la Corse et l’Italie. L’affaire la plus dangereuse de l’opération est confiée au Bataillon de Choc : attaquer les batteries de défense côtières ennemies, notamment les batteries de Campo et d’Enfola. C’est une mission très délicate dont dépendait en grande partie le succès de toute l’opération.
Le Bataillon articulé en sept détachements en zodiacs débarque le 17 juin 1944 à 1 heure du matin, trois heures avant le débarquement principal des troupes françaises. Le détachement N° 7 est constitué de la « section expérimentale » (section des légionnaires), appuyé par une section de jeunes volontaires Corses de la 4e Compagnie.
Les légionnaires commandos, sous les ordres du sous-lieutenant Saunier, de l’adjudant Lévèque et du caporal-chef Mattei, ont pour mission de neutraliser les quatre gros canons de la batterie d’artillerie allemande. Ce sont des obusiers-canons ML-20 de 152 mm (M1937) de l’Armée soviétique, capturés et réutilisés par la Wehrmacht. La batterie est située sur la presqu’île d’Enfola, du côté nord de l’île. Pendant l’opération, trois canons de 152 mm, deux canons de 88 mm et deux canons de 20 mm sont détruits. La « section expérimentale » elle-même a détruit trois canons de 152 mm avec des explosifs et a complètement neutralisé le quatrième. On dénombre parmi l’ennemi 17 morts, dont 2 officiers, et de nombreux blessés.
La mission est accomplie et en deux jours, l’île d’Elbe est libérée. Malheureusement, malgré sa contribution essentielle au succès de l’opération, la section Légion est pratiquement anéantie.
Cependant, un petit nombre d’anciens légionnaires continuent à servir dans le bataillon jusqu’à la fin de la guerre en 1945.
À Calvi, en 1963, vingt ans après sa création, le Bataillon de Choc est dissous. Son cantonnement sera confié à une autre unité aéroportée, beaucoup plus familière à nos lecteurs : le 2e REP. Mais ceci est une autre histoire… Ce qui reste est la marche du bataillon, chantant un couplet faisant référence importante aux origines peu connues de cette unité : « Debout les volontaires, chasseurs et légionnaires, les parachutes sont prêts pour l’aventure ».
Légionnaires parachutistes en Chine en 1945
Il faudra attendre l’année 1945 pour que se crée l’embryon d’une formation parachutiste purement légionnaire, mais d’une existence très brève. L’idée naquit en Extrême Orient, au camp de Tsao Pa, dans la région sud-ouest de la Chine. Les Américains y suggéreront la création d’une unité parachutiste composée de rescapés du 5e REI du commandant Gaucher, repliés du Vietnam en Chine après les durs combats contre les Japonais en mars-mai de cette année.
Comme toujours à la Légion, les volontaires ne manqueront pas ; ils constituèrent la section sous les ordres du lieutenant Charles Chenel, futur colonel du 2e REP. L’instruction en sauts est assurée par l’adjudant Pyl, chef du groupe de mortiers au 1er BEP en 1948, et le sergent-chef Rest. Mais la guerre avec le Japon prit fin au moment où la section allait faire des sauts d’entraînement sur la base aéroportée de Kunming, la capitale de la région. La toute première unité para de Légion Etrangère ne sauta donc pas, et les élèves-parachutistes du Bataillon de marche du 5e REI (BM 5) ne furent jamais brevetés…
Légionnaire des SAS
Introduction
Il faut noter que l’ensemble de cet article sur les tout premiers légionnaires parachutistes a été initié par le Dr David Bruce, un médecin en chef retraité après 36 ans de service dans la Royal Air Force de l’armée britannique. Il m’a contacté et m’a demandé de coopérer pour découvrir les détails du parcours militaire de son grand-père. Ce dernier était en 1943 parmi les légionnaires du 3e REI qui s’étaient portés volontaires pour une aventure dans une unité de commando parachutiste. Mais le plus intéressant, c’est que le grand-père de David, ainsi que ses camarades légionnaires, n’ont pas rejoint le Bataillon de Choc ; ils sont devenus les membres du Special Air Service britannique, mieux connu sous le titre de SAS.
Légion Etrangère 1938-1943
Mais reprenons depuis le début. Wladislas Cieslak dit « Lucien » est né en juin 1917 à Popowo, un petit village en Pologne. En 1924, sa famille quitte le pays et s’installe en France. Naturalisé Français en 1938, Lucien s’engage dans la Légion étrangère en novembre de la même année. Il a alors 21 ans. Il part en Afrique du Nord pour y suivre son instruction en Algérie, au sein du DCRE. Ensuite, le jeune légionnaire est affecté au 1er Régiment Etranger.
En septembre 1939, les tristes événements en Europe interrompirent la période de paix. L’ordre de la mobilisation arrive. Au sein des régiments de la Légion, des détachements de volontaires sont constitués pour rejoindre la Métropole et former les noyaux des deux nouveaux régiments (11e REI + 12e REI) ; Lucien est parmi ces volontaires et rejoint le 11e Etranger. Avec le 2e Bataillon, il participera dans la Bataille de France de 1940. Le 17 juin, comme servant de canon de 25, il se distingue à Void en arrêtant une colonne motorisée ennemie, mettant plusieurs engins – dont un char – hors de combat. Pour cette action, il sera cité à l’ordre de la brigade.
Après l’armistice, encerclé par les Allemands, il est fait prisonnier avec la majorité de son régiment. Interné au camp de Verdun, il s’évade en janvier 1941 et rejoint le 1er REI en Algérie. Un an plus tard, en janvier 1942, Lucien est affecté au 3e REI alors stationné au Maroc. Il est nommé 1ère Classe.
En novembre, le débarquement des Alliés se déroule en Afrique du Nord et inverse la situation politique. Les troupes françaises en Afrique reprendront le combat contre l’Allemagne. Les bataillons du 3e REI vont participer à la campagne de Tunisie, contre les forces de l’Axe. La campagne s’achève avec succès en mai 1943.
En même temps, les recruteurs commencent à chercher des volontaires parmi les troupes françaises – les légionnaires inclus – pour des nouvelles unités de commandos parachutistes. Les uns sont affectés au Bataillon de Choc, mais ce n’est pas le cas de Lucien. Il est contacté par un certain capitaine Lee du SAS britannique. À vrai dire, c’est Raymond Couraud, un ancien légionnaire français du 3e REI et de la 13e DBLE, lui-même engagé en 1938 à l’âge de 18 ans. Couraud, alias capitaine Lee, parvient à rejoindre l’Angleterre et les Forces françaises libres en 1941 et devient officier commando quelques mois plus tard. De nationalité britannique depuis quelques semaines, il est désormais commandant du French Squadron (Escadron français) du 2e régiment de SAS.
French Squadron du 2e SAS
Le French Squadron (équivalent d’une compagnie) du 2e SAS a été formé en mars 1943, avec une cinquantaine de commandos français mutés du French Squadron original du 1 SAS dissous. C’est donc la seule unité française du SAS britannique à l’époque, ce dernier représentée uniquement que par le 2e SAS. Ce « régiment » (en fait, un bataillon) est commandé par le William « Bill » Stirling, frère de David Stirling, fondateur du SAS.
La campagne de Tunisie terminée, Lucien et quelques 12 autres légionnaires du 3e REI se portent volontaires pour l’escadron du capitaine Lee. Ils sont ensuite dirigés vers Philippeville en Algérie, le quartier général des SAS en Afrique du Nord (et plus tard, pendant la guerre d’Algérie, la garnison du 2e REP). Lucien et ses camarades y suivront une formation générale de cette force spéciale.
L’escadron du SAS est formé généralement de 8 « sticks », petites unités de combat composées de 3 à 10 hommes, selon l’effectif disponible. Le stick devait être commandé par un officier, mais à cette époque, c’est plutôt un sous-officier qui est à la tête de ces petits groupes. Leur entraînement se fait donc isolément, car en mission, le stick opère avec ses seuls moyens et en principe sans aide, ni secours extérieur.
Entre septembre et décembre 1943, Lucien prend part à la campagne d’Italie. Le 2e SAS y mène des opérations séparées derrière les lignes ennemies, dans le secteur de Termoli, où ses commandos détruisent des voies ferrées, font sauter des ponts et bloquent le mouvement des forces allemandes.
Fin 1943, en vue du débarquement de Normandie, de la Libération de la France et de toute l’Europe, le commandement allié décide de porter l’effectif du « Special Air Service » à celui d’une brigade formée de quatre « régiments ». Deux régiments de la nouvelle brigade resteront britanniques (les 1er et 2e SAS), deux autres seront français (3e et 4e SAS). Chacun fort d’une quarantaine de sticks de dix hommes. Plus tard, un 5e SAS belge sera intégré à la Brigade. Ce dernier compte aussi dans ses rangs un petit nombre d’anciens légionnaires venant, déjà au début de 1942, du 6e REI au Levant.
Au début d’avril 1944, l’Escadron français du 2e SAS est donc transféré, avec Lucien, de l’Algérie à l’Angleterre pour y être réorganisé. En même temps, pour des raisons administratives, Lucien est affecté au 3e SAS français (en fait, le 3e Régiment de chasseurs parachutistes du commandant Château-Jobert dit « Conan »). Pourtant, il reste toujours détaché au 2e SAS britannique. A l’aérodrome de Ringway, un centre d’entraînement des troupes aéroportées situé près de Manchester, Lucien suit une semaine de stage en sauts. Le 17 avril, il sera officiellement breveté parachutiste et obtiendra ses Parachute wings. Pour mémoire, selon le rapport officiel, quelque 160 hommes de 13 nationalités différentes (!) participèrent au même stage.
Une fois réorganisés, les SAS prendront part à partir de juin 1944 à la Libération de la France. Leur rôle principal était d’être parachutés en petits groupes de commandos sur les arrières de l’armée allemande et d’exécuter des missions de sabotage et de destruction, ainsi que des actions de reconnaissance et de harcèlement de l’ennemi.
Lucien part en France au début d’août 1944, pour l’opération Dunhill. Les cinq sticks impliquées, totalisant quelques 60 commandos, devaient perturber l’activité des Allemands pendant la percée des troupes américaines de la Normandie. Quatre des équipes furent relevées dans les 24 heures. Le cinquième stick fournit des renseignements sur les mouvements allemands et mit en sécurité environ 200 aviateurs alliés avant de faire jonction avec les Américans trois semaines plus tard.
Membre de ce cinquième stick, Lucien est parachuté dans la région de Nantes. Le 8 août, lors de la reconnaissance d’un village occupé par les Allemands, il est accueilli par le feu ennemi. Après avoir répondu avec sa mitraillette, il est gravement blessé par un obus de 37. Lucien est d’abord ramené à l’hôpital de Bécon-les-Granits. Mais deux jours plus tard, il doit être évacué vers l’Angleterre. La guerre est finie pour lui.
En septembre 1945, Lucien rentre en France pour rejoindre le 3e RCP, alors commandé par le lieutenant-colonel Pâris de Bollardière, lui aussi un ancien officier de la Légion au Maroc en 1936-1940 et de la 13e DBLE en 1940-1943, et un ancien du 3e SAS.
Puis, en novembre 1945, après sept ans de service à la Légion et au SAS, cité à l’ordre de l’armée et de la brigade, décoré de la croix de guerre et de l’Africa Star britannique, Wladislas Cieslak dit « Lucien » est démobilisé.
Il épouse une Écossaise, qu’il avait rencontrée en 1944 alors qu’il suivait un entraînement SAS dans le sud-ouest de l’Écosse. Ils ont d’abord vécu dans le nord de la France avant de revenir en Écosse en 1955, où il travaillera comme contremaître dans l’usine locale de Dunlop. En 1966, Lucien obtient la naturalisation et devient citoyen britannique. Il est décédé en 1999.
Cette histoire extraordinaire d’un ancien légionnaire nous a permis de découvrir une partie jusqu’alors inexplorée de l’histoire de la Légion étrangère, l’histoire des véritables ancêtres des légionnaires parachutistes de l’actuel 2e REP et des vrais précurseurs des commandos GCP d’aujourd’hui.
Je remercie encore le Dr David Bruce pour son impulsion et son assistance, qui ont permis de rassembler ces informations extrêmement rares et intéressantes.
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Principales sources d’informations:
Wladislas Cieslak : documents et témoignages
Képi blanc revues (des années 1969 et 1973)
Pierre Dufour, Philippe Cart-Tanneur: Légionnaires parachutistes (Editions du Fer à Marquer, 1989)
Jean-Luc Messager: Légionnaires parachutistes : 60 Ans au service de la France (L’Esprit du Livre Editions, 2008)
Ian Wellsted: With the SAS: Across the Rhine (Frontline Books, 2020)
Pierre Sergent: Je ne regrette rien (Librairie Fayard, 1972)
Ministère des Armées
Chemins de mémoire
Fondation de la France Libre
Musée de la Résistance 1940-1945
Fanion Vert et Rouge
SilverMedals
Forces Net
Wikipedia.org
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L’article original : Legionnaires-paratroopers in WWII
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La page a été mise à jour le : 24 octobre 2021