Introduction
En janvier 1968, arrivait en France le 2e Régiment étranger d’infanterie (2e REI), le dernier des régiments de la Légion étrangère à quitter son pays natal, l’Afrique du Nord. Il y fut dissous par la suite, victime de la réduction considérable de l’effectif de la Légion après la fin de la guerre d’Algérie en 1962. En France, à cette époque, seuls le 1er Régiment étranger (1er RE) et le 1er Régiment étranger de cavalerie (1er REC) représentaient encore la Légion étrangère. D’autres éléments de la Légion « métropolitaine » étaient installés en Corse : le groupement d’instruction (GILE) à Corte, avec un détachement à Bonifacio (DLEB), et le 2e Régiment étranger de parachutistes (2e REP) à Calvi.
Le 2e REP était alors pratiquement la seule unité de la Légion qui pouvait intervenir rapidement en dehors de la France. Cela se confirma en 1969 lorsque le régiment fut déployé au Tchad ; c’était la première action pour les légionnaires depuis 1962. Le 1er Etranger, maison mère de la Légion, n’envoya au Tchad qu’une petite force d’intervention, la Compagnie motorisée (CMLE). Bien que formée à la hâte, elle devint encore une véritable unité de combat de ce régiment, après la dissolution de la Compagnie d’Intervention en 1963.
Les événements au Tchad démontrèrent alors que dans la nouvelle ère post-coloniale et avec une armée dramatiquement réduite, la France avait toujours besoin de forces capables d’intervenir rapidement partout dans le monde ; et que diminuer la Légion, la seule branche de l’armée française entièrement professionnelle à l’époque, n’était pas la meilleure idée.
Les choses ont donc commencé à bouger. Après son retour du Tchad fin 1970, la CMLE s’installa en Corse, à Bonifacio. Elle allait devenir le noyau d’une future force d’intervention, qui fut instituée officiellement par une décision ministérielle dix semaines plus tard, le 9 mars 1971.
En avril, une des deux compagnies d’engagés volontaires du DLEB/GILE, la 2ème, quitta Bonifacio pour Corte. Elle fit place à une nouvelle compagnie de combat du 1er RE : la 3ème, créée le 1er juin.
Pendant ce temps, en mai, le 4ème Escadron du 1er REC, seule unité de fantassins de ce régiment à l’époque, suivait un entraînement de commando au centre de Mont-Louis, pour être apte à faire partie de la future force d’intervention de la Légion. A propos, il ne s’agissait pas d’une sélection aléatoire; même cet escadron avait récemment connu un déploiement à l’étranger. En décembre 1970, il devint la toute dernière unité de l’armée française à garder le personnel français sur la base militaire de Bou Sfer, en Algérie, qui fut remise aux autorités algériennes à l’époque.
Enfin, le 4 août 1971, ce fut le Détachement de Légion de Bonifacio (DLEB) qui cessa d’exister pour céder la place en Corse à la nouvelle force d’intervention.
GOLE : Création
Le 4 août 1971, le Groupement Opérationnel de la Légion Etrangère (GOLE) est créé à Bonifacio, sous les ordres du commandant Mougin. Rattaché au 1er Etranger d’Aubagne, il est composé d’un état-major et de deux compagnies de combat : la CMLE du capitaine Aubert et la 3ème du capitaine Braun. Le GOLE est stationné dans la citadelle de Bonifacio, au Quartier Montlaur, où il a remplacé le DLEB dissous.
Destiné à l’intervention immédiate en tous lieux, le Groupement Opérationnel devrait participer notamment aux missions outre-mer dévolues à la 11e Division parachutiste dont le 2e REP fait déjà partie. Unité de Légion, le GOLE a pour but d’offrir au commandement un élément constamment disponible, consistant de soldats de métier.
Le groupement doit maintenir son état de préparation opérationnelle grâce au rythme d’une instruction de qualification poussée et approfondie. Il doit également assurer le perfectionnement de ses spécialistes, qu’ils soient conducteurs, opérateurs radio, servants de mortiers ou tireurs d’élite.
Doté d’importants moyens de liaison et de commandement, il est prévu que le GOLE peut non seulement agir isolément, mais aussi ajouter un nombre variable d’unités. Par exemple, en prenant sous son aile le 4ème Escadron du 1er REC dans un délai très court ou, à la demande, toute unité supplémentaire.
Malheureusement, la réalité n’était pas aussi positive. Le GOLE est une jeune unité qui souffre d’un manque d’effectifs, de moyens de transport et d’infrastructure nécessaire. Contrairement au régiment déjà bien établi en Corse, le 2e REP, avec sa vaste base militaire plate située en pleine campagne, à l’écart des zones habitées et à proximité d’une route principale, le GOLE est implanté au milieu d’une vieille ville, dans une citadelle difficilement accessible, et avec un espace très limité dans la caserne qu’il doit encore partager avec une compagnie d’engagés volontaires du GILE, la 1ère.
Mais la Légion sait s’adapter à toute adversité. Les légionnaires participent à des manœuvres et s’entraînent activement. Ils effectuent les exercices tactiques et de tir, l’escalade, les sports de combat, la pratique des pistes de commando, et même une instruction nautique très complète. Cet entraînement vise, outre le perfectionnement technique des hommes, la cohésion des compagnies. Le but est que le GOLE devienne une unité particulièrement qualifiée pour accomplir ses missions.
Pendant ce temps, de nouveaux renforts du GILE viennent compléter les sections.
Le 1er octobre 1971, la CMLE « motorisée », sans ses véhicules depuis le Tchad, change de nom et devient la 5ème Compagnie de combat. En effet, les GILE et GOLE étaient toujours considérés comme des équivalents des anciens bataillons d’infanterie, les derniers au sein de la Légion, dont leurs compagnies devraient porter les numéros 1, 2, 3, 4 et 5, 6, 7, 8.
GOLE en 1972 : 2e Régiment étranger
En 1972, la Légion est une fois plus réorganisée. Un groupement de la Légion (GLE) est créé le 1er septembre à Aubagne. Unité de commandement, elle a deux régiments subordonnés : le 1er Etranger et le 2e Etranger (2e RE). Ce dernier, reconstitué en Corse à la même date, se chargera des deux groupements de Légion basés sur cette île : le GILE et le GOLE qui jusqu’à lors faisaient partie du 1er RE.
Au sein du GOLE, une nouvelle unité a été créée, la Compagnie d’appui et de soutien (CAS), moitié administrative, moitié combat, avec une section de mortiers lourds. Ses origines remontent au détachement de commandement de l’ancien DLEB que le groupement a absorbé en 1971.
En octobre, le GOLE participe en Corse à l’exercice annuel franco-américain, Phiblex, avec les Marines de la sixième Flotte. Les légionnaires servent d’opposition à un débarquement amphibie.
L’année 1973 a vu, au début de juillet, la 3ème Compagnie corriger son numéro. Pour répondre aux anciennes règles des bataillons d’infanterie, elle devient la 6ème Cie. Par la suite, le capitaine Buisson en prend le commandement. Les deux autres compagnies ont également remplacé leurs « patrons ».
Quelques semaines plus tard, le 1er août, le chef de bataillon Forcin succède au chef de bataillon Mougin à la tête du GOLE.
Comme la situation dans les anciens territoires d’outre-mer de la France était relativement calme à l’époque, le groupement a continué à s’entraîner et à remplir ses fonctions d’unité d’intervention en Corse uniquement. Par exemple, dans la lutte contre les grands incendies de forêt.
Composition of the GOLE in late 1973
- Etat-major : chef de bataillon Forcin
- CAS (Cie d’Appui et de Soutien) : capitaine Flour
- 5e Compagnie : capitaine Dufour
- 6e Compagnie : capitaine Buisson
GOLE : Compagnies tournantes et Mayotte
En 1974, le commandement de l’armée de terre a décidé d’étendre le système des compagnies « tournantes », pour augmenter la capacité opérationnelle des troupes françaises en dehors de la France. Un certain nombre de bases militaires françaises outre-mer (Djibouti, La Réunion, Nouvelle-Calédonie, etc.) reçoivent donc en renfort une compagnie d’une unité d’intervention venant de la métropole. Cette compagnie, appelée « compagnie tournante », y séjourne quelques mois ; elle est ensuite relevée par une autre compagnie de la même unité et rentre en France.
Ce système des rotations de plusieurs mois semblait être plus efficace que l’ancien mode d’un séjour individuel de deux à trois ans qui a été pratiqué dans les unités d’outre-mer depuis des décennies. Il donne aux troupes d’élite la possibilité de vivre isolées loin du vieux continent et de maintenir leur potentiel opérationnel grâce à un service dans des endroits inhospitaliers. Simultanément, le nouveau système leur permet de ne pas attendre des années pour une éventuelle opération extérieure.
A l’époque, chaque formation de la Force d’Intervention doit envoyer ses compagnies sur le même territoire. Le 2e REP, par exemple, se voit attribuer le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI), l’actuel Djibouti, dans la Corne de l’Afrique. En octobre 1974, une de ses compagnies – la 3ème – y renforcera la 13e DBLE en tant que toute première unité « tournante » de la Légion.
Le GOLE ne sera pas oublié. Fin décembre, dans l’archipel des Comores, un territoire français située dans l’océan Indien, entre Madagascar et l’Afrique australe, un referendum concernant l’indépendance de ses quatre îles a été organisé. Trois voulaient l’obtenir, la dernière – Mayotte – a voté pour demeurer une partie de la République française.
Une petite unité de Légion maintenait alors l’ordre et la présence française dans l’archipel : le détachement des Comores (DLEC), créé en 1973. Considérant le nouveau système de l’armée pour des unités outre-mer, et au vu de la détérioration de la situation politique dans ce territoire, le commandement a décidé de réorganiser le DLEC et de le renforcer avec une compagnie tournante entièrement opérationnelle.
Ainsi, en janvier 1975, le capitaine Buisson, qui a cédé sa 6ème Compagnie en Corse au capitaine Tresti, arrive avec un renfort de 40 hommes du Groupement à Mayotte. Le 24, ils y forment – avec des sections de combat du DLEC – une nouvelle compagnie du GOLE, la 7ème. Celle-ci deviendra également la compagnie tournante, la première de ce type au sein du 2e Etranger et, effectivement, au sein du Groupement Opérationnel, auquel Mayotte a été « confiée ».
La 7ème Compagnie, composée de 138 gradés et légionnaires, restera neuf mois à Mayotte, jusqu’à la fin octobre. Son « action » la plus importante est la vaccination de la population de l’île contre l’épidémie de choléra qui sévit à l’époque aux Comores. Simultanément, une de ses sections est partie en renfort vers le TFAI/Djibouti, pour y séjourner dix semaines.
Pendant ce temps en Corse, les hommes du GOLE s’entraînent et participent à des exercices, même bilatéraux, tels que l’Iberia avec des paras espagnoles ou le Double Base avec des commandos britanniques du 41 Commando Group. De plus, le capitaine Folio prend le commandement de la CAS.
Le 19 août, le chef de bataillon Guignon, ancien lieutenant au prestigieux 1er REP, succède au chef de bataillon Forcin et prend le commandement du GOLE.
Fin octobre, la 5ème Compagnie – alors aux ordres du capitaine Migeon – part comme unité tournante à Mayotte, pour y relever la 7ème. Cette dernière doit quitter le territoire pour une autre île française de l’océan Indien, La Réunion, située à l’est de Madagascar. Les hommes y resteront quatre semaines en soutenir des services publics suite à une éruption volcanique. Finalement, fin novembre, la 7ème Compagnie arrive à Bonifacio, dix mois après sa création.
GOLE en 1976 : L’année active
L’année 1976 devient significative avec la première opportunité pour le GOLE de se présenter comme une vraie unité d’intervention. Au TFAI/Djibouti au début de février, un bus scolaire est pris en otage par des militants locaux supportés par le gouvernement somalien. Les légionnaires qui se trouvent déjà sur le TFAI – la 13e DBLE et une compagnie tournante du 2e REP – sont alertés et envoyés pour libérer les otages, 31 enfants français.
En même temps en Corse, le GOLE est aussi alerté ; il reçoit l’ordre d’être prêt à se déployer sur le TFAI, afin d’y appuyer la mission de sauvetage.
Le 5 février, bien que les légionnaires du 2e REP et de la 13e DBLE aient déjà réussi à libérer les enfants la veille, le GOLE part pour le TFAI. Plus précisément, le commandant avec son état-major, la CAS avec sa section mortiers, la 6ème Compagnie et, pour la première fois rattaché au groupement, le 4ème Escadron du 1er REC. Tous ensemble, quelque 400 hommes destinés à renforcer le dispositif militaire français à Djibouti.
Pendant quatre mois, les hommes du GOLE – surnommés « GOLEmen » – effectueront des patrouilles à la frontière somalienne, et participeront à divers exercices tactiques. Malheureusement, au cours d’un de ces exercices, six GOLEmen sont tués dans le crash d’hélicoptère du 24 mai 1976, deux semaines avant le rapatriement du groupement vers la Corse.
Après un mois de permission collective, une nouvelle mission attend la 6ème Compagnie. Cette fois à Mayotte, où le DLEC a été rebaptisé DLEM en 1976, et où la 5ème Compagnie doit être remplacée après un séjour de neuf mois.
Comme indiqué précédemment, cette île comorienne est devenue une destination exclusive pour les unités du GOLE, tandis que Djibouti l’est devenue pour celles du 2e REP. Toutefois, même les unités du Groupement Opérationnel peuvent être envoyées dans ce territoire de la Corne de l’Afrique. Comme c’est le cas de la 7ème Compagnie, maintenant aux ordres du capitaine Briot. En octobre, elle se dirige vers Djibouti pour y passer quatre mois en renfort, en raison d’une situation politique compliquée qui précède l’indépendance attendue de ce pays.
Le mois d’octobre de 1976 est aussi marqué par un départ précipité des compagnies du GILE quittant la Corse pour le continent pour y réintégrer le 1er Etranger. En revanche, le 4ème Escadron du 1er REC est provisoirement transféré en Corse, pour laisser la place aux sections d’engagés volontaires. Il s’installe à Corte, à côté de la Compagnie d’Instruction des Spécialistes (CIS), seule unité du GILE à rester rattachée au 2e Régiment Etranger ; le 4ème Escadron regagnera la France deux mois plus tard.
GOLE en 1977 : Derniers mois
Le GOLE du lieutenant-colonel Guignon, récemment promu, devient donc l’unique bataillon du 2e RE. Cette situation, bizarre tant sur le plan administratif qu’opérationnel, ne peut pas durer longtemps, en principe.
Pourtant, la vie active du groupe continue. Fin février 1977, la 7ème Compagnie quitte Djibouti et regagne la Corse. Parallèlement, le 4ème Escadron du 1er REC part à Mayotte pour remplacer la 6ème Compagnie qui vient d’y passer sept mois. C’est la première mission pour un escadron du Royal Etranger en tant que « compagnie » tournante.
Entre mai et juin, ce sont les trente-cinq jours de « Kalliste », un grand exercice militaire qui permet aux légionnaires de vivre et d’opérer en groupes isolés, à travers toute la Corse. La majorité du GOLE participe.
À la mi-juin, la 5ème Compagnie arrive en renfort à Djibouti ; deux semaines plus tard, ce territoire français deviendra une république indépendante.
Néanmoins, les changements structurels n’échappent pas au 2e Etranger. Unité à cinq compagnies qui dispose de deux états-majors et de deux lieutenants-colonels différents, cela constitue une situation vraiment curieuse et intenable. Une nouvelle et importante réorganisation au sein de la Légion est donc prévue.
Ainsi, le lieutenant-colonel Guignon (futur chef de corps du 2e REP) quitte le GOLE, le 1er août. Le chef d’escadrons Villerouge lui succède et assure l’intérim du commandement, jusqu’à la fin du mois.
Entre-temps, le 19, la 7ème Compagnie à Mayotte relève le 4ème Escadron du capitaine Filippi ; les cavaliers y ont séjourné six mois.
GOLE en 1977 : Dissolution
Le 31 août 1977 à Bonifacio, le Groupement Opérationnel est dissous. Les trois compagnies de combat du GOLE sont directement intégrées au 2e Etranger du lieutenant-colonel Mougin, premier commandant du GOLE. Elles garderont leurs numéros atypiques (5, 6, 7) jusqu’en 1984. La CAS est dissoute et ses tâches seront partiellement reprises par la compagnie de commandement du régiment.
Pour l’anecdote, le même jour en France, le GILE est lui aussi dissous pour être transformé en régiment d’instruction (RILE) sous les ordres du lieutenant-colonel Forcin, le deuxième commandant du GOLE.
Les anciennes compagnies du Groupement Opérationnel continueront à remplir leurs missions en Corse, à Mayotte, à Djibouti, et encore au Tchad (depuis 1978), où l’idée de former le GOLE est née. Ce nouveau conflit au Tchad marque également le début de l’engagement d’autres escadrons du 1er REC dans les forces d’intervention.
Il est bon de préciser qu’à son époque, le GOLE a été la seule unité d’intervention à maintenir en même temps ses compagnies dans deux territoires d’outre-mer différents, et la seule unité de l’Armée de Terre capable d’engager simultanément un groupement interarmes dans les rangs de la Force Terrestre d’Intervention et un détachement dans ceux de la Défense Opérationnelle du Territoire.
Quant au système des « compagnies tournantes », même s’il existe encore aujourd’hui dans l’armée française (en 2022), il est désormais quelque peu différent. Depuis le début des années 1980, les territoires d’outre-mer ne sont plus associés à une unité d’intervention spécifique. De même, la durée d’un séjour a été réduite à seulement quatre mois.
Pourtant, les jeunes légionnaires d’aujourd’hui ont encore la chance de partir vers des horizons lointains et y opérer isolés ; comme leurs anciens du GOLE, il y a presque 50 ans.
———
Les motifs originaux inspirés par la Légion.
Découvrez-les dans notre boutique.
———
Principales sources d’informations:
Képi blanc revues
P. Cart-Tanneur & Tibor Szecsko: La Vieille Garde (Editions B.I.P., 1987)
—
L’article original : GOLE: Foreign Legion Operational Group
—
Tous nos articles sur la Légion en français:
Liste des articles en français sur la Légion étrangère
—
La page a été mise à jour le : 3 octobre 2022