Introduction
Avant 1881, le calme régnait en Algérie, alors partie intégrante de l’Empire français. Mais cette année-là, se fit sentir l’influence grandissante d’un marabout nommé Sidi Bouamama. Chef d’une insurrection anti-française, il rallia plusieurs milliers de dissidents issus de tribus locales et lança une rébellion à l’ouest de l’Algérie, dans le Sud-Oranais. C’était une région désertique et encore peu explorée, située à proximité du Sahara. En avril 1881, le lieutenant Weinbrenner (un officier français de l’administration locale) se fait traîtreusement assassiner par les insurgés de Bouamama. C’est le tournant ; dès lors, Bouamama et ses hommes sont constamment poursuivis par les Français.
Entre-temps, toujours en 1881, le colonel Oscar de Négrier prend le commandement de la Légion étrangère, alors une unité de la taille d’un régiment, composée de quatre bataillons. En décembre de la même année, afin de chasser plus efficacement les tribus révoltées dans le Sud-Oranais, il fait monter une partie de ses légionnaires sur des mulets. Cette mesure leur permet de franchir plus facilement et plus rapidement des trajets de 50 kilomètres, au cours desquels ils tombent sur les rebelles au moment où ils s’y attendent le moins. Ce sont des « sections franches », plus tard connues sous le nom de compagnies montées.
Au début de l’année 1882, l’armée française pousse ses reconnaissances dans le Sud-Oranais vers l’ouest et vers le sud, où se trouve la frontière avec le Maroc, alors encore incertaine et en discorde. Le 20 avril, une mission topographique, commandée par le capitaine de Castries, officier du génie, quitte le camp d’Aïn Ben Khelil pour aller lever le Chott Tigri. Il s’agit d’une grande dépression désertique d’environ 65 kilomètres de long et 30 kilomètres de large, située dans un no man’s land sur les confins algéro-marocains. L’expédition devait durer une semaine.
L’escorte du convoi du capitaine de Castries est composée de :
- la 1ère Compagnie (150 légionnaires) du 3e Bataillon de la Légion
- la 3ème Compagnie (150 légionnaires) du 4e Bataillon de la Légion
- une Section franche (23 légionnaires sur mulets)
- un peloton de Chasseurs d’Afrique (11 hommes)
- un groupe de goumiers arabes (10 hommes)
L’escorte est dirigée par le capitaine Barbier du 3e bataillon de la Légion, commandant la 1ère Compagnie. Le 25 avril, ses hommes se heurtent à un groupe de rebelles qui s’étaient alliés à Bouamama et leur pillèrent 1 800 moutons. Il s’avéra par la suite qu’il s’agissait d’une erreur tactique. D’abord, ces moutons occupaient trop les hommes de l’escorte. De plus, les propriétaires voulurent récupérer leurs moutons à tout prix.
Le combat du Chott Tigri du 26 avril 1882
Le lendemain, 26 avril, à six heures du matin, la colonne du capitaine de Castries quitte le camp de Temaid Ben Salem dans la partie nord-est du Chott Tigri. Elle doit marcher en direction de Forthassa Gharbia, qui se trouve sur la route d’Aïn Ben Khelil. Son travail de levé est terminé.
Peu après, l’arrière-garde de la colonne – le lieutenant Massone avec sa section franche – est attaquée. Les assaillants comptent environ 800 cavaliers et 1 500 fantassins. L’arrière-garde est coupée du reste de la colonne par la cavalerie ennemie ; le lieutenant Massone est tué par 5 balles et 6 coups de sabre. Lui et 23 de ses légionnaires à cheval avaient tenté par erreur de se battre comme des cavaliers : ils n’avaient aucune chance et furent presque tous massacrés.
Voyant cette attaque violente, le capitaine Barbier décide alors de gagner une gara, une hauteur élevée de 40 m, au-dessus du chott, où il pourra rassembler sa troupe, repousser l’ennemi et, si nécessaire, attendre les secours. Entre-temps, une section de la 1ère Compagnie, sous les ordres du sous-lieutenant Mesnil, parvient à dégager le passage pour le capitaine de Castries et son groupe, ainsi que pour les Chasseurs d’Afrique et les goumiers arabes qui les accompagnent. Cependant, la section perd 14 légionnaires.
La majeure partie de la colonne parvient à s’installer sur la gara. Néanmoins, ses chameaux et ses moutons fraîchement saisis, sous l’effet de la panique, finissent par se disperser, provoquant le désordre dans le dispositif. Les animaux seront ensuite capturés par une charge de cavaliers rebelles. Dans cette charge, le capitaine Barbier est tué, frappé de 9 balles et de 7 coups de sabre. Le lieutenant Weber, commandant la 3e compagnie, est blessé ; 8 légionnaires sont tués.
Le groupe de sapeurs du capitaine de Castries, protégé par la section du sous-lieutenant Mesnil, lui-même blessé, rejoint le reste des défenseurs.
Le capitaine de Castries prend le commandement des survivants et constitue un carré d’infanterie. Il inflige des pertes à l’ennemi et tente des sorties pour ramasser les blessés. Le légionnaire Androesco ramène, sur son dos, le corps du capitaine Barbier, qu’il a dû être enlevé aux rebelles trois fois de suite. Le combat continue.
À partir de 13 heures, l’ennemi, après avoir subi des pertes sensibles, devient moins agressif. La colonne du capitaine de Castries entame sa retraite en direction de Forthassa Gharbia. Après sept longues heures, la lutte acharnée s’achève enfin. À 18 h 30, les survivants arrivent à Gaaloul, un petit hameau indigène situé sur la route entre Forthassa et Aïn Ben Khelil. Là, le capitaine et ses hommes peuvent enfin se reposer un peu, avant de poursuivre leur route pour atteindre leur destination finale.
Les pertes dans le combat du Chott Tigri sont sensibles : 2 officiers et 49 légionnaires sont tués ; 2 officiers et 26 légionnaires sont blessés. Ils seront enterrés dans le cimetière militaire d’Aïn Ben Khelil.
Conclusion
Ce combat penible a prouvé que les nouvelles unités équipées de mulets ne devaient pas être utilisées au combat comme cavalerie. Le colonel de Négrier avait donc ordonné que chaque mulet devait servir à deux hommes (un qui est monté, un qui marche à ses côtés), qui, au combat, devraient descendre immédiatement pour combattre comme l’infanterie légère. Les célèbres compagnies montées ont maintenu cette pratique jusqu’en 1950, date à laquelle la dernière d’entre elles a été définitivement dissoute.
Après le combat du Chott Tigri, les insurgés de Bouamama tentèrent à plusieurs reprises de se rapprocher des positions françaises. La colonne du colonel de Négrier et une autre – celle d’un certain commandant Marmet – combinent leurs mouvements dans la région. Cette tactique est couronnée de succès, car l’ennemi a pu être attaqué plusieurs fois. Finalement, après quelques semaines de poursuite et de combats, les rebelles et leur chef Bouamama s’enfuient vers le Maroc, laissant entre les mains des légionnaires leurs morts, leurs blessés, deux cents tentes et de nombreux animaux, ainsi que le convoi de chameaux qui avait été précédemment saisi lors de l’expédition topographique du capitaine de Castries. Le calme revient en Algérie et y demeurera longtemps.
Quant au lieutenant Weber, ce brave officier blessé de la 3e compagnie, il sera tué dans un combat contre les Chinois à Formosa (aujourd’hui Taïwan) en janvier 1885.
Parmi les légionnaires qui ont pris part au combat du Chott Tigri se trouvait un danois, le futur capitaine Bruun de l’armée danoise. Il deviendra un archéologue célèbre qui troquera le sud chaud pour le nord froid et réalisera, entre autres, une importante expédition archéologique au Groenland dans les années 1890.
Le 26 avril 1907, un monument est inauguré à Temaid Ben Salem à la mémoire des hommes tués lors de la bataille du Chott Tigri, qui s’était déroulée non loin de là 25 ans auparavant. Le monument a été construit par la 3e Compagnie Montée du capitaine Maurel, du 2e Étranger, avec des pierres blanches, selon les plans du légionnaire Lagrâce, qui avait lui-même gravé les inscriptions. Le monument a la forme d’une pyramide à quatre faces reposant sur un double socle. La face nord de la pyramide porte une plaque commémorative et la liste des officiers, sous-officiers et légionnaires tués le 26 avril 1882. La face sud porte l’extrait du journal de marche du 3e Bataillon, relatant le combat. Une grenade de la Légion est fixée au sommet du monument.
Malheureusement, en novembre de la même année, le monument est gravement endommagé par des rebelles marocains. Depuis, son sort demeure inconnu.
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Principales sources d’informations:
Képi blanc revues
Les jurnaux français de 1882 et de 1907
J. Brunon, G.-R. Manue, P. Carles: Le Livre d’Or de la Légion Etrangère (Charles-Lavauzelle, 1976)
Wikipedia.org
Google.com
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L’article original : 1882 Battle of Chott Tigri
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La page a été mise à jour le : 6 mai 2022