Catastrophe de Turenne de 1932

En Algérie, le 14 septembre 1932, le train n° 403 transportant un détachement de la Légion étrangère déraille près de Turenne. Cet accident ferroviaire provoque la mort de 56 légionnaires et fait plus de deux cents de blessés. Encore aujourd’hui, il reste l’accident le plus meurtrier jamais vécu par la Légion. Pourtant, il a été presque oublié. Voici donc un article à la mémoire des victimes de la catastrophe de Turenne.

 
Catastrophe de Turenne de 1932 - Algérie - la Légion Etrangère - Historiqe

 

La catastrophe

En 1932, la France est toujours engagée au Maroc où ses troupes participent à la pacification du pays, dont trois régiments d’infanterie de la Légion étrangère. Des détachements de légionnaires y sont régulièrement envoyés en renfort en provenance d’Algérie. C’est également le cas d’un détachement de 510 hommes du 1er Régiment étranger d’infanterie (1er REI). Commandé par les lieutenants Pénicaud et Parisot, il se compose de 27 sous-officiers, 46 caporaux et 435 légionnaires, tous volontaires pour le « baroud ».

Le mercredi 14 septembre, à 7 h. 15, ce détachement quitte la gare de Sidi-bel-Abbès, alors la maison-mère de la Légion, située dans la région d’Oran, en Algérie. Il se rend à Oujda au Maroc, distante de 130 km, où les légionnaires doivent être répartis dans les trois régiments étrangers. Leur train mixte n° 403, de la compagnie ferroviaire PLM, est composé d’une locomotive à vapeur et de vingt-neuf wagons, dont treize wagons de marchandises.

Le voyage est tranquille. Le train a parcouru plus de la moitié du trajet avant de faire une pause à Tlemcen, une autre grande ville de la région d’Oran. Puis il s’approche de la pire section de la ligne, située entre Tlemcen et Turenne. La voie y suit la vallée de l’Ourit, comporte une série de courbes serrées, passe par plusieurs tunnels et traverse la vallée à plusieurs reprises sur des ponts en maçonnerie.

À 14 h. 53, lors du passage de cette section, une terrible catastrophe se produit à la sortie du tunnel n° 4 au point kilométrique 163.770, dans une courbe entre Zelboun et Turenne. Le train déraille, et après avoir roulé sur le ballast sur une centaine de mètres, il glisse dans un ravin profond d’une vingtaine de mètres. Dans leur chute, les voitures de voyageurs et les wagons de marchandises s’entrechoquent et leurs structures en bois se brisent. Parmi les décombres se trouvent les corps des légionnaires. Beaucoup sont morts, d’autres gravement blessés. Les cris d’hommes piégés sous les voitures écrasées se font entendre. C’est une scène d’horreur et d’angoisse.

 
 

Les causes

Quelles sont les causes de cette catastrophe ? Comme nous l’avons appris par des enquêtes ultérieures, il y avait des travaux de renouvellement en cours exécutés sur cette section de la ligne par une entreprise privée. C’est pourquoi la voie était dégarnie de son ballast et qu’un certain nombre de traverses étaient décalées. Il y a aussi le soupçon que le conducteur n’ait pas tenu compte de l’avertissement donné par les panneaux de signalisation et ait roulé à la vitesse normale de 40 km/h au lieu de celle déclarée de 30 km/h. Le déraillement a donc eu lieu et, après une centaine de mètres de roulement sur le ballast, dans un énorme bruit, le train a ensuite glissé le long de la pente dans le ravin.

Un autre problème pourrait être lié au fait que, selon un légionnaire rescapé, le chef de gare à Tlemcen, en infraction des règles alors en vigueur, se contentait de faire accrocher à la queue du convoi des wagons de marchandises démunis de freins (les wagons de marchandise auraient dû être en tête du train et ceux de passagers à la suite). Ces mêmes wagons, lourdement chargés, ont écrasé dans le ravin les voitures pleines de légionnaires qui étaient en tête.

 

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère
La section délicate du chemin de fer entre Tlemcen et Turenne, en Algérie.

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère
La partie nord-ouest de l’Algérie, près de la frontière marocaine, où a eu lieu l’accident ferroviaire de 1932.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train
Le déraillement du train n° 403 près de Turenne, le 14 septembre 1932. Les débris dans le ravin.

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - les débris du train

 
 

Les travaux de secours

Tout de suite, les secours s’organisent. Les légionnaires rescapés travaillent à dégager leurs camarades blessés. Dans le même temps, la gendarmerie de Turenne, distante de quelque cinq kilomètres, est alertée par le conducteur du train, épargné par miracle. Ce sont ensuite les cinq trains de secours qui parviennent successivement sur le lieu de la catastrophe. Ils sont partis de Tlemcen, de Bel-Abbès et d’Oujda, avec des médecins et du matériel de relevage et de secours aux blessés, ainsi qu’avec des autorités civiles et militaires.

Le général Rollet, alors « Père de la Légion », se rend lui-même sur place. Il prend la direction des travaux de secours et de déblaiement. Les médecins font le tri des blessés et administrent les premiers soins, tout en préparant l’évacuation des plus atteints. Le premier train avec des blessés arrive à Tlemcen à 21 h. 40, transportant également les seize premiers cadavres qui ont été découverts. Les travaux se poursuivront durant toute la nuit, ainsi que les jours suivants.

Le 15 septembre, le gouverneur général d’Algérie, monsieur Carde, se rend sur les lieux de la catastrophe ; il y rencontre le général Rollet et lui transmet les condoléances du Président de la République. Comme le remarque le général Rollet dans cette conversation : « J’ai perdu hier, en une seule journée, plus d’hommes qu’en deux ans de Maroc. »

 
 

Les conséquences

Après quelques semaines, le nombre de blessés et de victimes s’est stabilisé à ces chiffres. Quant aux cheminots, il y a 5 morts et 2 blessés. Sur les 510 hommes du détachement du 1er REI, on compte :

  • 56 légionnaires morts (dont 9 morts des suites de ses blessures)
  • 217 hommes blessés (dont 69 graves et 148 légers)
  • 20 légionnaires amputés parmi les blessés graves
  • le lieutenant Pénicaud qui se trouve parmi les blessés graves
  • le lieutenant Parisot qui est blessé légèrement

 

Seuls les noms des 9 légionnaires décédés des suites de leurs blessures sont connus :

  • BOUFFET Seraphin
  • COCHERANI Johny
  • KOCHK Oscar
  • MARCINOFF Téodor
  • PÉRIE Paul
  • ROUET Télémaque
  • STATZAK Ludga
  • VAN DE BRUSSE Henri
  • WRONA Joseph

 
 

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Travaux de secours
Travaux de secours sur le lieu de l’accident.

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - légionnaires rescapés
Un groupe de légionnaires rescapés du train n° 403.
Général Rollet - Legion Etrangere - Père de la Légion étrangère
Le général Rollet, alors « Père de la Légion ».

 
 

Les obsèques des victimes

Le samedi 17 septembre, les obsèques des victimes de la catastrophe ont lieu à Sidi-bel-Abbès, en présence des plus hautes personnalités de l’Afrique française du Nord. Arrivant de Tlemcen le matin, les cercueils sont descendus du train, alignés sur l’un des quais de la gare et recouverts de drapeaux et de fleurs. Le 1er Etranger du colonel Nicolas est au complet pour rendre les derniers honneurs à ses camarades, victimes de la catastrophe.

Les services religieux sont célébrés aussitôt, en présence de toutes les autorités et délégations, et devant tous les civils qui avaient pu trouver place sur les quais. Une prière est prononcée par le pasteur protestant. L’absoute est ensuite donnée par le clergé catholique de la ville.

Après cette émouvante cérémonie, plusieurs discours officiels sont prononcés. Parmi eux, ceux du colonel Nicolas et du général Rollet. Ce dernier, ému aux larmes, fait l’appel des morts :

« Après le colonel Nicolas, mon rang m’appelle à prendre la parole au nom de la Légion qui pleure les victimes d’une horrible catastrophe. Le beau détachement que le 1er Régiment étranger envoyait en renfort au Maroc ne comprenait que des volontaires, tous ardents au « baroud » avec tous ses risques envisagés de gaieté de cœur, sauf celui, imprévisible, dont ils ont été victimes. Au cours des heures pénibles que j’ai vécues avec les sauveteurs, les rescapés ici présents, c’est la seule récrimination que j’ai entendue de leur part contre la fatalité qui a fauché tant de leurs camarades morts au champ d’honneur, mais pas sur celui qui leur revenait. »

Le général a dit aussi :

« Dans ce malheur, les qualités traditionnelles de la Légion – solidarité, camaraderie, stoïcisme – se sont montrées une fois de plus. Les opérations de sauvetage se sont faites sans qu’aucun légionnaire n’ait été commandé à aucun moment pour ce service. Tous, blessés et valides, étaient volontaires. Je n’ai eu à intervenir que pour réduire leur nombre. Du côté des sinistrés, des malheureux emprisonnés vivant dans les débris de leurs wagons, aucune plainte, seulement des cris d’appel pour signaler leur présence, puis le silence, lorsqu’ils avaient la certitude qu’ils ne seraient pas oubliés. Presque tous étaient des grands blessés ; plusieurs sont morts sans renouveler leur appel. Dans son chagrin, la Légion a le droit d’être fière de la conduite des siens. »

Après les discours, les cercueils sont placés sur le plateau des douze camions, entourés d’un cordon de légionnaires. Les camions les porteront à travers la ville, jusqu’au cimetière. Le deuil est conduit par ces plus de 230 survivants de la catastrophe qui, suivant l’ordre du colonel Nicolas, défilent devant les restes de leurs camarades dans la tenue qu’ils avaient au moment du déraillement, déchirée et tachée de sang. Ils constituent la garde d’honneur de ceux que la mort a atteint. Une foule énorme, évaluée par certains journalistes à près de 50 000 personnes, forme la haie au passage du cortège.

Au cimetière, les légionnaires alignent les cercueils dans une longue tranchée qui a été creusée la veille et pendant la nuit.

Il faut rappeler que seuls 52 cercueils étaient présents à cette cérémonie du 17 septembre. Les quatre derniers corps n’ont été découverts dans les débris que pendant la nuit du 16 au 17. Fortement engagés sous plusieurs châssis de véhicules, ils sont retirés dans la journée. Les obsèques de ces quatre légionnaires ont lieu à Sidi-bel-Abbès le 20 septembre, dans la plus grande simplicité et sans aucun discours prononcé.

 

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - les cercueils
Les 52 cercueils, arrivés de Tlemcen, sont alignés à la gare de Sidi-bel-Abbès, le 17 septembre 1932. Ils sont recouverts de drapeaux et de fleurs. Il faut rappeler que les quatre derniers corps de légionnaires n’ont été retirés des débris que le jour même. Leurs obsèques ont lieu le 20 septembre, dans la plus grande simplicité.

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - général Rollet - colonel Nicolas
Le général Rollet prononçant son discours à la gare de Bel-Abbès. Derrière lui, le colonel Nicolas, alors chef de corps du 1er REI.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - defile - deuil
Les 52 cercueils traversent la ville de Sidi-bel-Abbès sur des plateaux de douze camions, entourés d’un cordon de légionnaires en armes. Une foule innombrable se masse autour du convoi. Source de la photo : Narodowe Archiwum Cyfrowe.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - defile - deuil
Le convoi traversant la ville de Bel-Abbès, le 17 septembre 1932.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - defile - Les rescapés
Le cortège est mené par les survivants de l’accident dans l’uniforme qu’ils portaient au moment du déraillement. Ils sont suivis par le général Rollet, son épouse, le colonel Nicolas, et d’autres personnes. Cette photo rare provient d’un ancien album d’un légionnaire allemand, possession de Hans-Michael Tappen.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Bel Abbes - defile - cimetiere - cercueils
La photo rare des cercueils au cimetière de Bel Abbès, le 17 septembre 1932. Cette photo provient du même ancien album que possède Hans-Michael Tappen.

 
 

Le monument aux victimes de la catastrophe

À l’initiative de l’Amicale des anciens de la Légion de Tlemcen, et grâce aux efforts et à la charité du « Comité d’érection du monument » qui s’était créé à Bel-Abbès fin 1932, un monument sera élevé à la mémoire des légionnaires et des cheminots victimes de la catastrophe de Turenne, sur le lieu même de la catastrophe.

Le monument a une hauteur de plus de 10 mètres, avec une buse formée d’un socle en pierre de taille. Il est surmonté d’une immense grenade, emblème de la Légion étrangère. Le monument est l’œuvre de l’architecte Paul Terrade, de l’entrepreneur Eugène Brahic, et du brigadier Panabières d’un régiment d’artillerie. Ce dernier dirige les travaux avec le concours des légionnaires du 1er REI, sous les ordres du caporal Viviani. Le terrain sur lequel est érigé le monument a été gracieusement offert par un résident local, M. Ould Ben Malek.

Le 23 septembre 1934, après quelques mois de travaux, le monument est inauguré en présence des hautes personnalités, y compris le lieutenant-colonel Azan, alors chef de corps du DCRE et commandant intérim du 1er REI ; on y trouve aussi le maire de Sidi-bel-Abbès ou madame Rollet. Quant au général Rollet, il n’assiste pas à cette inauguration, car il participe aux manœuvres de la division d’Oran.

À propos, l’inscription sur la plaque du monument nous indique que le nombre de légionnaires morts est de 57. Nous ne savons pas si c’est un fait ou une simple erreur. Il n’existe aucun document public clarifiant ce chiffre.

 
 

Conclusion

Encore aujourd’hui, en 2022, la catastrophe de Turenne reste l’accident le plus meurtrier jamais vécu par la Légion étrangère. Pourtant, il a été presque oublié. La dernière commémoration officielle pour rendre hommage aux victimes de ce triste événement a eu lieu en septembre 1957, à l’occasion du 25e anniversaire. Cette cérémonie a été organisée par le 5e REI, alors stationné dans le secteur de Tlemcen.

En ce qui concerne la question des responsabilités de la catastrophe, la compagnie ferroviaire PLM n’a jamais admis de faute de sa part. Quant à l’entreprise privée qui réparait le chemin de fer, un de ses employés a été condamné à quatre mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Tlemcen, fin octobre 1933. L’entreprise a également été déclarée civilement responsable, sans préciser les détails. Les autres inculpés ont été acquittés.

Malgré la tragédie du 14 septembre 1932, des renforts de légionnaires continuent de quitter l’Algérie pour le Maroc. Grâce à cela, un an et demi plus tard, la pacification de ce pays sera achevée avec succès.

 

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - projet et les travaux
À gauche, le projet du monument de 1933. À droite, les travaux en 1934, effectués par les légionnaires du 1er REI.

Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - 1934 - inauguration
L’inauguration du monument à la mémoire des victimes de la catastrophe de Turenne. L’inauguration a eu lieu le 23 septembre 1934.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - Algerie - 1934
Le monument en 1934. Il a une hauteur de plus de 10 mètres.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - 1957 - 5e REI
La dernière cérémonie officielle pour rendre hommage aux victimes de la catastrophe a eu lieu en septembre 1957, à l’occasion du 25e anniversaire. Elle a été organisée par le 5e REI, alors stationné dans le secteur de Tlemcen.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - 2010
Le monument oublié, photographié en 2010.
Turenne - Catastrophe - 1932 - Légion étrangère - Monument - Lieu de l'accident
Le lieu de la catastrophe du 14 septembre 1932.

 
 

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Principales sources d’informations:
Képi blanc revues
Les jurnaux français de 1932 – 1934
Pierre Soulié: Paul-Frédéric Rollet (Editions italiques, 2007)
Google.com
Wikipedia.org

 

 

L’article original : 1932 Turenne Rail Accident

 

 

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La page a été mise à jour le : 16 septembre 2022

 

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